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Théâtre - Entretien

Mes Frères de Pascal Rambert, mise en scène de Arthur Nauzyciel

Mes Frères de Pascal Rambert, mise en scène de Arthur Nauzyciel - Critique sortie Théâtre Paris La Colline – Théâtre National
Le metteur en scène et comédien Arthur Nauzyciel. Crédit : Richard Volante

Entretien / Arthur Nauzyciel
La Colline – Théâtre national / de Pascal Rambert / mes Arthur Nauzyciel

Publié le 13 juillet 2020 - N° 286

Après avoir mis en scène une version sud-coréenne de Clôture de l’amour à l’été 2019, Arthur Nauzyciel signe aujourd’hui la création de la nouvelle pièce de Pascal Rambert. Il dirige Adama Diop, Marie-Sophie Ferdane, Pascal Greggory et Frédéric Pierrot dans Mes Frères, texte dont il interprète lui-même l’un des personnages.

 

Vous avez joué dans plusieurs pièces de Pascal Rambert. Aujourd’hui vous mettez en scène son nouveau texte, qu’il a écrit pour vous. Quel lien vous unit à cet auteur et à son écriture ?

Arthur Nauzyciel : Un lien de complicité, de proximité. C’est la première fois que Pascal Rambert écrit une pièce pour un autre metteur en scène que lui-même. C’est lui qui m’a demandé de faire partie de la distribution. En écrivant Mes Frères, il s’est adressé à la fois au metteur en scène et au comédien que je suis. A travers ce nouveau projet, notre lien se prolonge donc, mais il trouve, du fait même de cette double adresse, une forme un peu différente.

Le fait qu’il ait écrit ce texte pour vous a-t-il, de votre point de vue, créé des déplacements au sein de son écriture ?

A.N.: Oui, il me semble. Lorsqu’on écrit pour un autre metteur en scène que soi, une forme de lâcher prise peut se faire jour. Je crois qu’à travers cette pièce, Pascal Rambert s’est donné la liberté d’écrire des choses qu’il n’aurait probablement pas écrites s’il avait lui-même eu à les mettre en scène. Un peu comme s’il s’amusait à me lancer des défis.

 Au-delà même de ce nouveau texte, quel regard portez-vous sur son théâtre ?

A.N.: Il s’agit d’un théâtre physique, qui possède une grande corporalité, qui engage le corps dans son intégralité. Et puis, l’écriture de Pascal Rambert réussit à parler d’aujourd’hui sans jamais être dans l’actualité. Elle crée un théâtre contemporain à la fois épique, poétique et politique, en inventant une langue qui agit l’acteur. C’est très rare. Dans ses pièces, ce n’est pas au comédien de mettre des choses dans le texte, de le pousser, de chercher du sous-texte pour redresser le texte, c’est le texte qui redresse l’interprète, qui le met en mouvement.

« Le théâtre de Pascal Rambert réussit à parler d’aujourd’hui sans jamais être dans l’actualité. »

Comment toutes ces choses s’incarnent-elles dans Mes Frères ?

A.N.: Mes Frères est une pièce assez différente des autres pièces de Pascal Rambert, car elle mêle réel et rêve. Tout en étant très ancré dans le concret, dans la réalité du théâtre, ce nouveau texte se révèle profondément onirique. Il s’agit d’une sorte de conte qui met en jeu beaucoup d’inconscient, un conte qui nous relie à des choses un peu archaïques, qui traite de la violence que les hommes — les individus masculins — imposent au monde. Cette violence s’est transmise de génération en génération depuis la nuit des temps. A travers les rapports brutaux de domination, d’exploitation et de possession qu’elle induit, elle est à l’origine de l’oppression que les hommes font subir aux femmes, à la nature, au monde animal.

Tout ceci fait écho à certains des sujets brûlants de notre époque : les rapports homme/femme, l’écologie, la question du genre…

A.N.: Bien sûr. Ce qui est très fort dans cette pièce, c’est qu’elle rend compte de notre monde par porosité. Mes Frères n’est évidemment pas un documentaire sur ce qui se passe aujourd’hui, un texte qui viserait à reproduire le réel à l’identique, mais un texte qui invente une forme et un monde poétiques, fantasmatiques, dans lesquels l’acteur peut avoir une place.

Dans ce monde vivent quatre frères, bûcherons ou menuisiers, et une femme, leur servante…

A.N.: Oui, nous suivons les parcours intérieurs de ces personnages qui vivent dans un bois. Ces parcours sont de l’ordre du rêve, du fantasme, d’obsessions sexuelles, d’obsessions de possessions nées de grandes frustrations. Mes Frères parle de la solitude, de l’impuissance, de la sublimation de frustrations en délires érotiques. Marie, la servante, est le réceptacle de tous ces débordements. Cette pièce révèle deux niveaux de narration : on passe constamment du réel au rêve. Si on considère uniquement le réel, on découvre des gens qui s’affrontent dans un quotidien envahi par le travail. Mais ce quotidien s’enrichit de tous les fantasmes et de tous les désirs que fait surgir la mise en présence des uns et des autres. Mes Frères est une pièce très puissante sur le théâtre, sur la force et la nécessité du rêve. Ces quatre hommes étant eux-mêmes, d’une certaine façon, victimes de la violence qu’ils imposent autour d’eux, le rêve devient pour eux la seule échappatoire au monde frustre, injuste, animal qu’ils engendrent.

Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat

A propos de l'événement

Mes Frères
du vendredi 25 septembre 2020 au mercredi 21 octobre 2020
La Colline – Théâtre National
15 rue Malte-Brun, 75020 Paris

Du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30, le dimanche à 15h30. Tél. : 01 44 62 52 52. www.colline.fr

Egalement au Théâtre national de Bretagne, du 10 au 14 novembre 2020 dans le cadre du Festival TNB.

 

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