L’Opéra de quat-sous
La Comédie de Genève / texte de Bertolt Brecht / musique de Kurt Weill / mes Joan Mompart
Publié le 22 février 2016 - N° 241Après On ne paie pas, on ne paie pas ! de Dario Fo, Joan Mompart met en scène L’Opéra de quat-sous, de Brecht, creusant la veine d’un théâtre politique qui renoue le dialogue avec l’intimité du spectateur.
Pourquoi choisir Brecht et sa lecture, qu’on pourrait croire datée, des rapports de classes ?
Joan Mompart : On m’avait posé la même question en 2015, lorsque j’ai monté On ne paie pas, on ne paie pas ! Comment, à l’époque, trouver cette pièce surannée, alors que l’été suivant, en Andalousie, des groupes prônant la désobéissance civile étaient entrés dans des supermarchés pour y réquisitionner des produits de première nécessité ? Dario Fo décrit des personnages s’enfonçant dans la marge, L’Opéra de quat’sous parle de ceux qui y sont déjà, qui y sont même depuis plusieurs générations. A la fin de la pièce, Mackie va mourir. En substance, il dit : je sais que je suis le voleur, le méchant, que j’ai tort, mais ce que je fais est-il plus grave que ce que fait le capitalisme ? La question est rhétorique. Il ne répond pas, et on revient à la fable. Puis Mackie reprend : il a été trahi par sa putain préférée, et il y voit le signe que le monde ne change pas. Il y aura toujours des hommes qui, pour se sauver, vendront et trahiront les autres. Ce qui est au centre de la pièce, c’est l’exploitation de l’homme par l’homme. Et cette situation est mieux qu’actuelle : elle est de plus en plus actuelle ! Je ne me voyais pas raconter autre chose aujourd’hui. Ce n’est pas nous qui choisissons les pièces ; ce sont elles qui nous choisissent.
« Cette situation est mieux qu’actuelle : elle est de plus en plus actuelle ! »
Au-delà de l’histoire, pourquoi choisir cette pièce ?
J. M. : J’ai choisi cette pièce pour la fable mais aussi pour son système de représentation – le détournement du genre – qui nous dédouane de la réaction habituelle à laquelle conduit le théâtre politique. Car Brecht ne donne pas de réponse : il met en lumière les questions. Tel est le sens de ce qu’on appelle ses Lehrstücke: des pièces pour apprendre, pour conscientiser. Brecht n’est pas sentencieux. Son théâtre est fait de plaisir, de joie, de générosité, et il faut rompre avec la réputation d’ennui qu’il a en France. En règle générale, j’ai du mal avec les sentencieux, les donneurs de leçons gris et sérieux. Quel meilleur outil d’analyse que le rire ? Brecht détourne les codes de l’opéra. Le plaisir du chant et la beauté des songs de Weill sont des outils magnifiques pour désarmer le cynisme du spectateur et renouveler les notions de bien et de mal. Glorifier un mendiant : est-ce immoral ou simplement hors morale ? Face à une société normative qui impose sa conception du vrai et du bien, existent au plateau des gens qui ne sont pas comme les autres. En cela, la pièce a une portée critique inentamée.
Quelle est la visée de ce théâtre ?
J. M. : Inciter le spectateur à réfléchir à sa position. L’aspiration de ma démarche est là, dans l’intimité qu’on entretient avec le spectateur, à l’endroit où s’insinue le doute et se forge le « non ». Notre rôle est de parler à l’individu avant le collectif. Si on y parvient, il y a un premier pas de mise en doute, et on vise alors quelque chose de tangible, sans plan sur la comète qui changerait le monde, sans sortir les drapeaux rouges et noirs ! Brecht est un auteur magnifique qui structure la pensée et la met en mouvement. Ce mouvement, cet écart aménagé, suppose aussi que le spectateur soit impliqué dans le processus de représentation. Pour cela, il faut s’avouer en représentation : je te raconte une histoire, mais tu te la racontes aussi, donc nous nous la racontons ensemble ! Et cela suppose un subtil équilibre : si on est trop dans l’explication, on perd la fable ; si on est trop dans la fable, on perd les raisons qui font qu’on la raconte. Dans cet aveu de théâtre, on partage le poids de la représentation avec le spectateur, qui devient créateur et termine le geste du metteur en scène. Il finit le travail, et on se réunit vraiment en évitant la distance entre la scène, la salle et le spectacle. Le propos appartient alors au spectateur : il est lui-même acteur.
Propos recueillis par Catherine Robert
A propos de l'événement
L’Opéra de quat-sousdu mardi 1 mars 2016 au dimanche 20 mars 2016
La Comédie de Genève
Boulevard des Philosophes 6, 1205 Genève, Suisse
Mardi, mercredi, jeudi et samedi à 19h ; vendredi à 20h ; dimanche à 17h (relâche le 6 mars). Tél. : 41 22 320 50 01. Site : www.comedie.ch Théâtre 71, 3, place du 11 novembre, 92240 Malakoff. Du 31 mars au 14 avril. Mercredi, jeudi et samedi à 19h30 ; mardi et vendredi à 20h30 ; dimanche à 16h. Tél. : 01 55 48 91 00.