L’Odyssée – Une histoire pour Hollywood, un voyage mis en scène par Krzysztof Warlikowski

Il s’agit d’une création puissante et singulière, inégale au sens exigeant du terme, entendons par là qu’elle s’extirpe de manière radicale des contraintes de la perfection et du nivellement. Cet objet théâtral par moments échappe. Par moments accroche. Par moments ébranle. Par moments ouvre en soi des champs de pensée et de sensation auxquelles on ne s’attendait pas. Ou plus. On connaît le travail de Krzysztof Warlikowski, qui nous transporte depuis plusieurs décennies dans un art profondément personnel de la juxtaposition et de la digression dramatique. Le metteur en scène polonais sonde, de spectacle en spectacle, les choses de l’Histoire et de l’Humain, interrogeant l’être, le réel, le visible et l’invisible. Avec, parfois, une façon de faire qui tient du passage en force. Ce n’est pas le cas ici. Au contraire. L’Odyssée – Une histoire pour Hollywood, multiplie les récits et les personnages, les procédés narratifs et les temporalités, dans un maillage théâtral complexe et inspiré. Parcourue d’évidences, la dernière proposition du directeur du Nowy Teatr de Varsovie met en miroir le périple d’Ulysse et l’existence hors norme d’Izolda Regensberg, Juive polonaise qui durant la Seconde Guerre mondiale provoqua elle-même sa déportation pour retrouver son mari.

L’art de la juxtaposition

C’est à travers deux ouvrages de Hanna Krall, Le Roi de cœur et Roman pour Hollywood, que nous est relatée l’histoire de cette femme. Ayant survécu à la barbarie nazie, Izolda Regensberg a demandé à l’écrivaine et journaliste polonaise, à la fin des années 1980, de travailler à sa biographie dans l’espoir de voir son histoire adaptée à Hollywood, dans un film jouée par Elizabeth Taylor. De Los Angeles à Ithaque, en passant par les montagnes de la Forêt-Noire, Krzysztof Warlikowski fait se croiser sur scène une troupe hétéroclite de personnalités, mythologiques ou ayant existé. Pénélope, Elizabeth Taylor, Calypso, Hannah Arendt, Martin Heidegger, Télémaque, Roman Polanski, Robert Evans, Télégonos, un dibbouk, Claude Lanzmann et, bien sûr, Ulysse se présentent à nous dans la scénographie ouverte et mouvante de Malgorzata Szczesniak. Au sein de cet espace propice à toutes les constructions imaginaires, les quinze comédiennes et comédiens réunis par Krzysztof Warlikowski donnent à penser et à ressentir. Ils parviennent à nous dire de manière forte, par le biais de scènes pourtant parfois traversées d’indicible, ce que peuvent être l’errance, le vide, l’ailleurs, l’oubli.

Manuel Piolat Soleymat