Les Fourberies de Scapin
La compagnie Les Géotrupes, dirigée par [...]
Dense, juste, exigeante : Julie Brochen signe une belle adaptation scénique de Liquidation*, roman du Prix Nobel de littérature hongrois Imre Kertész. Au Théâtre national de Strasbourg.
Pour sa dernière création en tant que directrice du Théâtre national de Strasbourg**, Julie Brochen porte à la scène l’une des grandes écritures des Lettres contemporaines. Publié en France en 2004 – deux ans après l’obtention par son auteur, l’écrivain hongrois Imre Kertész, du Prix Nobel de littérature -, Liquidation fait partie de ces romans qui en imposent dès leurs premières pages, leurs premières lignes. Une forme de consistance diffuse, mais évidente ; une profondeur qui s’exprime à travers de petits détails du quotidien et des fulgurances de sens ; une façon de dérision très subtile, très raffinée, qui éclaire l’obscurité de questionnements sur le mal, la création, la possibilité du bien, les gouffres de l’existence… Avec, comme basse continue, la résonnance à la fois sourde et perçante d’Auschwitz, énigme fondamentale qui contient, en son sein, les foisonnements de l’œuvre. C’est tout cela que Julie Brochen et ses partenaires de jeu (Pascal Bongard, Fred Cacheux, Marie Desgranges, Antoine Hamel, Ivan Hérisson, David Martins, Fanny Mentré, André Pomarat) parviennent à faire surgir sur scène. C’est la chair de cette écriture magistrale.
Rendre compte de la densité d’une écriture
Il est assez rare de voir ainsi s’élever – depuis un plateau de théâtre et de manière aussi juste – le corps d’un style, la substance d’une matière littéraire. Sans jamais chercher à résoudre ou schématiser le texte d’Imre Kertész, la proposition de la directrice du Théâtre national de Strasbourg s’attache, au contraire, à rendre compte de sa densité, de sa structure complexe et sinueuse. Cette version dramatique de Liquidation fait donc apparaître les personnages (un grand écrivain qui se donne la mort, son éditeur qui part à la recherche d’un manuscrit testamentaire dont personne n’a jamais entendu parler…), les différentes strates de la trame narrative qui leur donne vie, mais également l’univers invisible qui se détache derrière les phrases et les pensées de l’auteur (né en 1929 dans une famille juive, Imre Kertész a été déporté à Auschwitz, à l’âge de 15 ans). Entre style direct et indirect, répliques théâtrales et mise en partage de la narration, se dessine une représentation à la beauté fluide et âpre. Une représentation qui donne à entendre, à ressentir, pour reprendre les termes de Julie Brochen, quelque chose d’une « déflagration lumineuse ».
Manuel Piolat Soleymat
* Traduit du hongrois par Natalia Zaremba-Husvai et Charles Zaremba, édité par Actes Sud.
** Julie Brochen quittera la direction du Théâtre national de Strasbourg à la fin de la saison 2013/2014.
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