La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Gros-câlin

Gros-câlin - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre de l’Œuvre
Jean-Quentin Châtelain, acteur de haute sensibilité Crédit photo : DR

Théâtre de l’œuvre / De Romain Gary / Mise en scène Bérangère Bonvoisin

Publié le 13 décembre 2013 - N° 215

Jean-Quentin Châtelain porte avec tendresse et finesse la drôlerie poignante du premier roman d’Emile Ajar, alias Romain Gary. Un pur plaisir.

Il vit à petits feux, furtivement enfoui au milieu infini de l’agglomérat du Grand Paris. Serré dans son deux-pièces immensément vide, il aime à se lover dans le moelleux de Gros-Câlin quand le cœur a le pleur gros et l’esprit la grise mine. Gros-Câlin s’allonge sur deux mètres vingt tout en tendresse, sans compter quand il s’enroule amoureusement. C’est un python bien sûr. Monsieur Cousin l’a ramené d’un voyage en Afrique, bouleversé soudain au sortir de l’hôtel par la solitude du reptile. Modeste employé de bureau, il habite seul avec lui, sort prudemment, se fond dans l’anonymat, se révolte de temps à autre en toute discrétion, généralement dans l’abstention, et prend ses rêves pour des réalités, sans préméditation mais avec désarmante gentillesse. Il songe beaucoup à sa collègue de travail, Mademoiselle Dreyfus, et ses minijupes colorées… « Je suis un faible, je le dis sans me vanter. Je n’ai aucun mérite à ça, je le constate, c’est tout. On ne sait pas assez que la faiblesse est une force extraordinaire et qu’il est très difficile de lui résister. » remarque-t-il. Il a aussi le sens de l’observation et de la clandestinité.

Personnage paradoxal

Dans le monde de Cousin, les choses bizarrement sont reliées selon d’improbables « à cause de », et souvent même se refusent tout bonnement à suivre la logique commune, pourtant déjà passablement absurde. Les mots d’ailleurs s’en trouvent tout chamboulés et se collent en lignes perplexes. Dans son premier roman publié sous le pseudonyme d’Emile Ajar, en 1974, Romain Gary fait sécession avec « la gueule qu’on [lui] avait faite », celle d’un paisible Goncourt, mais aussi avec le bon ordre du langage. Il en retourne l’impeccable marqueterie à coups d’humour pour dévoiler, dans les écarts et décalages, une société de plus en plus individualiste et technocrate, la solitude de l’homme enseveli sous le manque d’amour. Reprenant l’adaptation réalisée par feu Thierry Fortineau, Jean-Quentin Châtelain est ici guidé par Bérangère Voisin, qui signe une mise en scène d’une subtile délicatesse. Excellant dans l’exercice du monologue, le comédien délivre toutes les teintes de ce texte drôle et poignant, philosophique et désespéré. Sa voix si singulière s’attarde parfois pour caresser les voyelles, s’étrangle dans un sursaut d’angoisse, enchaîne les pataquès avec innocente aisance et s’évade en escapades où les sons étincellent. Tout son corps aussi parle, raconte la sensibilité extrême d’un être en mal de tendresse. « Elle me serra très fort dans ses bras et me caressa dans ce silence au goutte-à-goutte qui fait bien les choses. La tendresse a des secondes qui battent plus lentement que les autres. » L’émotion aussi.

Gwénola David

 

A propos de l'événement

Gros-Câlin
du mercredi 20 novembre 2013 au mercredi 25 décembre 2013
Théâtre de l’Œuvre
55 rue de Clichy, 75009 Paris.

A 19h, sauf samedi à 16h, relâche lundi. Tél. : 01 44 53 88 88. Durée : 1h15.
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