La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon / 2016 - Entretien / Bérangère Vantusso

L’institut Benjamenta

L’institut Benjamenta - Critique sortie Avignon / 2016 Avignon Festival d’Avignon. Gymnase du lycée St-Joseph
Crédit photo : Céline Bansart Légende photo : Bérangère Vantusso

Gymnase du lycée Saint-Joseph / D’après Walser / Mise en scène Bérangère Vantusso

Publié le 26 juin 2016 - N° 245

« Être insignifiant et le rester. » Telle est la ligne de conduite des élèves de l’Institut Benjamenta. Dans ce roman publié en 1909, l’écrivain suisse Robert Walser mêle expérience réelle et fantasmagorie pour dresser une critique de la vie soumise. Bérangère Vantusso porte à la scène ce conte mystérieux avec une troupe d’acteurs et de marionnettes.

L’institut Benjamenta vise à former des domestiques dociles qui se taisent et obéissent sans discuter. Quelle puissance dramaturgique les marionnettes apportent-elles à la mise en scène de l’œuvre de Walser ?

Bérangère Vantusso : Le narrateur Jacob Von Guten, fils de bonne famille que rien ne prédestinait à entrer dans cet établissement, dit qu’il y apprend à devenir un « beau zéro tout rond ». La marionnette offre une figure idéale de ce rien mais aussi de la dialectique du maître et de l’esclave : pour prendre vie, elle a besoin d’être manipulée par l’acteur, qui a besoin d’elle pour agir. Elle évoque intrinsèquement les thèmes de la soumission, de la manipulation et du libre arbitre, qui traversent tout le roman de Walser.

Quel mode de relation relie les acteurs et les marionnettes, qui apparaissent presque comme leur alter ego ?

B. V. : Les marionnettes constituent d’abord un outil d’apprentissage de ces futurs serviteurs pour s’exercer. Elles représentent un « moi » domestique et l’acteur le « moi » intime. Une fois la convention admise, la relation va se complexifier et peu à peu dysfonctionner. Tout comme Jacob subvertit sans le vouloir les règles de l’Institut Benjamenta, la stabilité du réel se trouble : le présent, le passé, le rêve, le fantasme et la réalité s’enchevêtrent. Walser adopte la forme du journal : il livre une vision subjective, celle de Jacob, qui s’amuse à mélanger des scènes vécues, d’autres purement imaginées, oniriques. Plusieurs plans se superposent, tant et si bien que les lisières du réel et de la fiction sont sans cesse floutées, déplacées.

« Les lisières du réel et de la fiction sont sans cesse floutées, déplacées. »

Votre recherche sur l’acteur manipulé y contribue aussi…

B. V. : Elle est liée à l’utilisation de poupées hyperréalistes de taille humaine : l’acteur se défait de sa volonté et devient une marionnette, tout comme la marionnette devient un humain. Cette nouvelle « figure théâtrale » les rassemble dans une seule population fantasmagorique. Elle introduit une mise en abyme de la question de la liberté de l’individu et de sa capacité à agir dans une société contraignante et normative, incarnée par cet institut Benjamenta.

Vous affinez une esthétique du réalisme fantastique. Comment se décline-t-elle ici ?

B. V.  : Elle se teinte de l’influence du peintre flamand Mickaël Borremans, qui déploie un univers plastique à la fois familier et étrange, hautement poétique. Le personnage principal Jacob est ici démultiplié en quinze exemplaires, dont chacun est singulier. Cette variation du même vient brouiller la perception. La marionnette est un corps symbolique. Lui donner une apparence réaliste place le spectateur non pas dans l’illusion mais dans un exercice incessant de recomposition du réel. Cet écart entre le symbolisme et le réalisme lui laisse un espace pour y glisser sa propre histoire. La coexistence de la marionnette et de l’acteur m’intéresse pour entrecroiser ces deux plans en permanence et réinventer un réel fantasmé.

 

Entretien réalisé par Gwénola David

A propos de l'événement

L’institut Benjamenta
du vendredi 8 juillet 2016 au mercredi 13 juillet 2016
Festival d’Avignon. Gymnase du lycée St-Joseph
62 Rue des Lices, 84000 Avignon, France

à 15h, relâche le 10. Tél.: 04 90 14 14 14. Durée : 1h30.

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