La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

L’île des esclaves de Marivaux, mis en scène de Jacques Vincey

L’île des esclaves de Marivaux, mis en scène de Jacques Vincey - Critique sortie Théâtre Tours Théâtre Olympia - CDN de Tours
L'île des esclaves à l'Olympia – CDN de Tours CR : Christophe Raynaud de Lage

Marivaux / Mes Jacques Vincey

Publié le 27 septembre 2019 - N° 280

Jacques Vincey et sa jeune troupe de l’ensemble artistique du T° abordent avec finesse les rives mystérieuses de L’ïle des esclaves.

Voilà un texte d’apparence simple. Un homme et une femme de l’aristocratie athénienne s’échouent sur une île, accompagnés chacun de leur suivant.e. Sur cette île règne l’égalité absolue des conditions et Trivelin, valet de la comedia dell ‘arte reconverti en dirigeant ferme et bienveillant, impose à chaque couple maître-serviteur d’inverser les rôles. Naturellement, cela réjouit les domestiques et désespère ceux qui avaient pris l’habitude de les commander, souvent sans ménagement. De cette situation carnavalesque, dont on imagine les ressources comiques, Marivaux a toutefois fait une pièce contrastée, ambigüe, complexe, et même insaisissable par endroits. Naturellement, Arlequin et Cleanthis prennent un temps leur revanche sur ceux qui les ont maltraités, mais rapidement ils rendent le pouvoir qu’on vient de leur octroyer et renoncent à leur nouvelle position. La pièce est brève , et Jacques Vincey a fait le pari réussi de l’encadrer d’un prologue et d’un épilogue écrits par la troupe, qui en prolonge le sens.

Déployer les points de vue plutôt qu’imposer une morale

 La scénographie est simple, dépouillée, en noir et blanc. Au sol, un grand ovale de matière cotonneuse figure l’île utopique et sert de terrain de jeu aux cinq jeunes acteurs et actrices de l’ensemble artistique du T°, toute l’année associés au CDN de Tours. La direction d’acteurs de Jacques Vincey a moins appuyé sur la comédie qu’elle n’a tenté de rendre les nuances et les complexités des situations imaginées par Marivaux Le metteur en scène a choisi de déployer plutôt que d’expliquer, de superposer les points de vue plutôt que d’imposer une focale, une morale unique. Ainsi voit-on passer les ombres d’un Marivaux qui se moque des mœurs de la Cour, dont la critique des coquettes flirte avec la misogynie, sa tendance à idéaliser la simplicité, la rusticité, mais aussi l’emprise persistante du catholicisme sur le siècle, l’habitude qu’a l’auteur de composer avec les puissants, bref une constellation de circonstances historiques qui viennent éclairer les ambiguïtés du texte sans pour autant les résoudre. Près de cinq cents ans nous séparent de l’écriture de l’Île des esclaves. Un infranchissable océan ?  Les jeunes interprètes dans un épilogue savoureux évoquent donc chacun l’écho que le travail de cette pièce a produit en eux  Le  sens ainsi achève ainsi de se démultiplier, en ouvrant sur un aujourd’hui profondément inégalitaire, gorgé de colère et d’indignations, de bruit inutile aussi, qui illustre comment – c’est le signe des grands textes – cette île mystérieuse et rêvée n’en finit pas de nous parler.

 

Eric Demey

A propos de l'événement

L'île des esclaves
du mercredi 25 septembre 2019 au samedi 5 octobre 2019
Théâtre Olympia - CDN de Tours
7 rue de Lucé, 37000 Tours.

Du 25 septembre au 5 octobre à 20h, le jeudi à 19h, le samedi à 16h. Relâche le dimanche. Tel : 02 47 64 50 50. Durée : 1h30. En novembre à Colombes, Montbéliard et Chartres. Reprise à Tours du 23 au 31 janvier puis en tournée en France.

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