L’homme qui se hait
Théâtre National de Chaillot / Emmanuel Bourdieu / mes Denis Podalydès et Emmanuel Bourdieu
Publié le 25 janvier 2013 - N° 206Quatrième collaboration pour Emmanuel Bourdieu et Denis Podalydès, L’homme qui se hait, à travers l’histoire d’un improbable Professeur de philosophie sonde avec profondeur le rapport de l’Homme au langage.
L’homme qui se hait aurait aussi pu s’intituler Les Chaises suite, en référence à l’œuvre d’Ionesco. En effet, au début, dans une grande salle où s’amoncellent des chaises vides, pénètrent un homme et une femme qui attendent l’arrivée du grand orateur, pour la venue duquel une petite estrade, un micro et un magnétophone enregistreur ont été préalablement installés. L’attendu déboule, un Professeur aux allures de philosophe très fin dix-neuvièmesiècle, le port hautain, le complet veston et la barbichette de rigueur. Cependant, à l’opposé du personnage de Ionesco qui s’étrangle dans ses borborygmes, le Professeur Winch – c’est son nom – s’enivre de sa parole tout au long d’une conférence qu’il mène de manière de plus en plus passionnée autour du concept de « l’Homme qui se hait ». Nous assistons en fait à une représentation de l’U.P.A. – L’Université Philosophique Ambulante – qui nous retracera ensuite les étapes marquantes de son histoire singulière, à travers les tribulations d’un trio : Le Professeur et ses deux assistants, la future Madame Winch et M. Bakhamouche, interprété par le remarquable Simon Bakhouche.
L’inanité du langage détruit l’aspiration à la Vérité
En fait, le récit de l’histoire de l’U.P.A. verse dans le conte plus que dans le vraisemblable et se déploie à partir de situations quelque peu artificielles – et assumées comme telles – conduisant les trois personnages à rejouer leur passé commun. Conférences clé, coups de foudre intellectuels et séparations passionnées dessinent ainsi de plus en plus précisément les contours des personnalités de chaque membre du trio, au gré d’une ribambelle de situations cocasses qui parsèment la vie de la troupe. Car, comme son nom l’indique, cette Université n’a rien de solennel, et tient plutôt de la petite compagnie théâtrale, en tournée philosophique, foraine et ordinaire à la fois. Ce n’est pas faire insulte au grand Professeur que de dire cela, car sa science est bien sérieuse et semble même emprunter au pessimisme schopenhauerien, adopter parfois les accents passionnés du nihilisme nietzschéen, pour s’abîmer finalement dans une rigueur logique qui, à l’instar du travail de Wittgenstein, voit l’inanité du langage détruire l’aspiration à la Vérité. « Chacun reste muré dans son monde intérieur qu’il ne connaît même pas » conclut le Philosophe. Bourdieu fait ici parfois dans le comique, souvent dans l’absurde, mais jamais dans la parodie du Philosophe, et si les contours de son personnage restent longtemps trop flous, les aventures du trio un peu anecdotiques, la trame du rapport au langage, dans ce qu’il peut avoir de désespérant, assure à la pièce un final très émouvant. Comme dans Les Chaises, s’y étranglent les borborygmes d’un personnage nommé Regnarts, stranger à l’envers, cet étranger, ce véritable moi, qui en nous ne parvient jamais à se dire.
Eric Demey
A propos de l'événement
L’homme qui se haitdu vendredi 1 février 2013 au jeudi 28 février 2013
Théâtre national de Chaillot
1 Place du Trocadéro, 75116 Paris
Du 1er au 28 février à 20h30, le samedi à 17h, relâche dimanche et lundi. Tél : 01 53 65 30 00. Spectacle créé et vu à la MCA, Maison de la Culture d’Amiens