La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

L’Exception et la règle

L’Exception et la règle - Critique sortie Théâtre
Crédit photo : Ronan Maillard Légende photo : La Compagnie Passeurs de mémoires revisite le jeune Brecht.

Publié le 10 janvier 2011 - N° 184

Dominique Lurcel met en scène avec économie, efficacité et intelligence L’Exception et la règle, de Brecht, pamphlet didactique sur la justice de classe, servi par des comédiens agiles et talentueux.

Lorsque les choses sont trop patentes, les amateurs de sophistications amphigouriques sont volontiers enclins à dissimuler l’évidence sous les arguties de la subtilité. Les thuriféraires du capitalisme et de la loi du plus fort sont de ceux-là : ils refusent de reconnaître qu’il y a des riches et des pauvres, des exploiteurs et des exploités ; ils affirment que la réalité est plus compliquée que ce qu’elle paraît, et ils endorment avec l’opium de fausses raisons le bon peuple qu’ils méprisent et qu’ils craignent. Il en va du théâtre comme du reste, et cet art se méfie de la simplicité en la noyant souvent sous les artifices chichiteux d’une fausse profondeur. Bertolt Brecht, dans ses Lehrstücke (pièces didactiques courtes et efficaces écrites dans les années 30), prend le contrepied des raffinements contournés : il fait limpide et précis en montrant que les gros engraissent en bouffant les petits et que les institutions sociales sont au service de cet appétit assassin. Dominique Lurcel est lui aussi de ces artistes qui n’ont pas besoin d’étais superflus et prétentieux pour faire sens : adepte d’un théâtre pauvre qui fait confiance aux acteurs pour servir les textes, il touche au plus juste avec une économie et une humilité très efficaces.
 
Un quatuor talentueux au service d’une partition allègre
 
Au sol, un tapis couleur sable pour symboliser le désert que traversent le marchand et le coolie de cette histoire ; une poubelle et un tapis roulant d’entraînement sportif (Lumpenprolétariat considéré comme un déchet et agitation vaine du struggle for life capitaliste), transformés au gré des scènes en accessoires de l’action ; des costumes à la neutralité plastique qu’agrémentent quelques éléments signifiants : Dominique Lurcel concentre le théâtre sur le jeu, mené avec rythme et servi par des comédiens remarquables de précision et d’expressivité. Guillaume van’t Hoff est un marchand tout en tics et en agressivité, sautillant et instable, sorte d’Auguste égoïste et brutal comme un enfant pervers face au clown blanc qu’incarne Mathieu Desfemmes, déchirant coolie réduit au silence et à la peine, trop bon et trop honnête pour être cru tel par son patron et le juge infâme qui piétine sa mémoire dans une dernière scène remarquable d’intensité. Céline Bothorel et Guillaume Ledun complètent la distribution avec un talent à la hauteur de celui de leurs camarades. Empruntant à l’art du clown les moyens d’une caricature assumée et d’une mise à distance heureuse, les comédiens évitent le piège de la naïveté qui est toujours celui du didactisme. En choisissant l’épure (que vient plaisamment habiller la musique originale de Ronan Maillard), Dominique Lurcel réussit à faire de cette courte pièce à la fois une fable, une leçon et un viatique politique ; en choisissant des comédiens de talent pour la servir, il réussit à provoquer le rire, la pitié, la colère et la compassion : à tous égards, on est là au plus près d’une définition qui pourrait être celle du théâtre…
 
Catherine Robert


L’Exception et la règle, de Bertolt Brecht ; mise en scène de Dominique Lurcel. Du 5 au 30 janvier 2011. Du mercredi au samedi à 20h30 et le dimanche à 16h ; en matinée les 20 et 27 janvier à 14h30. Confluences, 190, boulevard de Charonne, 75020 Paris. Tél : 01 40 24 16 46. Durée : 1h10. Spectacle vu à l’Espace 1789 de Saint-Ouen.

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