La Tempête
©Crédit photo : Vincent Pontet
Légende photo : Alexander Feklistov, Caliban postmoderne dans La Tempête de Donnellan.
Crédit photo : Vincent Pontet
Légende photo : Alexander Feklistov, Caliban postmoderne dans La Tempête de Donnellan.
Publié le 10 février 2011 - N° 185
Entre déchainement des éléments et des instincts et puissance de la vertu et de la raison, Declan Donnellan met en scène une Tempête tout en oxymores, servie par des comédiens éblouissants.
Nick Ormerod, cofondateur avec Declan Donnellan de la compagnie Cheek by Jowl et scénographe habituel de ses spectacles, leur offre toujours une signature visuelle simple et limpide qui permet au jeu des comédiens de s’y déployer avec une cohérence conférant au texte la force de l’évidence. Dans ce nouveau spectacle, une sorte de boîte à trois pans ouvre et ferme ses portes au gré des événements, procure un toit de surplomb au magicien Prospero, secondé par le malicieux Ariel, et transforme la scène en théâtre de la manipulation des consciences. Prospero, dépossédé de son duché milanais par la fourberie de son frère et du roi de Naples, avoue à la fin que la machinerie illusoire de son île et de son art n’était pas au service de son ressentiment : elle visait seulement à provoquer le repentir et la contrition de ses anciens ennemis. La vertu étant plus glorieuse que la vengeance, Prospero s’est fait le metteur en scène d’une leçon de morale destinée à rééduquer les vicieux. D’évidence, Declan Donnellan s’amuse à ce parti pris d’un théâtre dans le théâtre, offrant aux spectateurs la même leçon d’humanité que celle que Prospero impose à ses méchants prisonniers. A cet égard, la scène de divagation de Trinculo et Stephano, convaincus par Caliban de pouvoir devenir les nouveaux maîtres de l’île, offre un miroir délicieusement spirituel à notre modernité, débauchée par l’ivresse des gadgets de la puissance que sont les cartes de crédit et les téléphones portables !
Un théâtre à l’aristocratique élégance
Prospero (Igor Yasulovich, à la fois poignant et impérial), domine l’intrigue, parce qu’il est maître de lui-même et maître des livres dans lesquels il puise ses connaissances et sa force. Décillant enfin les yeux égarés des naufragés, c’est en lecteur qu’il choisit de leur apparaître, comme il était à Milan avant d’en être chassé, et comme l’est peut-être, calme et posé, tout esprit supérieur qui est parvenu à dompter affects et bas instincts. Prospero a réussi à faire de Miranda (lumineuse Yana Gurianova) et de Ferdinand deux amants fougueux policés par la promesse de l’engagement réciproque ; il a dompté Caliban qu’il protège de la furie de ses comparses, et rend sa liberté à Ariel, dans une très belle scène d’adieu où la simplicité d’une poignée de main égalitaire efface les anciens liens entre le serviteur et son maître. Le magnifique éloge de la raison, de la mesure, de la tenue, de la domestication des sursauts de bestialité que constitue cette pièce est porté sur scène avec un sens suraigu du moindre effet théâtral. Les corps, que seule l’eau peut parvenir à calmer (vigoureuse toilette de Miranda et de Ferdinand ; seaux jetés contre les ardeurs de Caliban ; naufragés trempés par la tempête), reprennent peu à peu forme humaine, et le rasoir que Prospero tient à la main au moment de la révélation finale renonce à égorger, se contentant de rendre au magicien le glabre de son visage ducal. Fidèle à l’étymologie de son titre, Prospero est le dux, celui qui conduit les autres sous l’autorité bienveillante de sa puissance modérée et savante. Et Declan Donnellan en est un autre, puisque, en duc de la scène, il mène la brillante troupe des comédiens russes qu’il dirige ici avec la maîtrise et l’intelligence d’un théâtre aristocratique : celui des meilleurs !
Catherine Robert
La Tempête, de William Shakespeare ; mise en scène de Declan Donnellan. Du 26 janvier au 13 février 2011. Du mercredi au samedi à 20h45 ; dimanche à 17h. Les Gémeaux – Scène Nationale, 49, avenue Georges-Clémenceau, 92330 Sceaux. Réservations au 01 46 61 36 67. Durée : 2h.