La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Jean-Marc Bourg

Jean-Marc Bourg - Critique sortie Théâtre
Crédit : Didier Leclerc Atelier N89

Publié le 10 janvier 2011 - N° 184

Un long voyage sans immobilité

Seul sur scène, au plus proche du public, le comédien Jean-Marc Bourg s’efface derrière la phrase ininterrompue qui compose Une Phrase pour ma mère de Christian Prigent. Un travail de mise en évidence de l’écriture conçu comme un duo entre un acteur et un éclairagiste.

Vous définissez ce spectacle comme un « moment bizarre de théâtre dont le seul décor, le seul personnage, la seule action serait la phrase ». Qu’entendez-vous par là ?
Jean-Marc Bourg : Le texte de Christian Prigent est composé d’une seule et même phrase. Il n’offre pas de place à l’arrêt, à la réflexion, il nous pousse perpétuellement vers l’avant. Le lecteur est plongé dans un long voyage sans immobilité. En tant qu’acteur, j’ai souhaité m’en tenir à cette position de lecteur. La phrase devient ainsi la seule possibilité d’expression. Le décor et l’idée même de « mise en spectacle » n’ont plus de place sur scène. La seule matière de jeu est la résonance de la phrase, en dehors de toute idée d’action ou de situation. Seule la phrase existe, seule la phrase dicte…
 
Il s’agit donc, pour vous, de procéder à une forme d’évidement…
J.-M. B. : Oui, une forme d’évidement qui amène à se poser une question : qu’est ce qui reste, au théâtre, après cet évidement ? J’ai voulu aller au bout de cette question en travaillant sur la disparition, c’est-à-dire sur la possibilité de ne plus être autre chose qu’une caisse de résonance pour le texte. Cette position, qui est évidemment un peu théorique, suppose un combat avec le langage, combat à l’issue duquel j’ai pu me sentir jeté dans les cordes par la langue de Christian Prigent qui ressemble à une sorte de maelstrom.
 
Qu’est-ce qui vous semble le plus marquant dans cette langue ?
J.-M. B. : L’écriture de Christian Prigent utilise un vocabulaire et des ruptures rythmiques très désarçonnants. Au premier abord, elle peut paraître difficile. Et pourtant, très vite, quelque chose opère dans cette réjouissance à inventer des rythmes, des mots, des sens auxquels on ne s’attendait pas.
 
« Comme tous les grands auteurs de prose, Christian Prigent effectue, à travers ce texte, une traversée des expériences du monde. »
 
 
De quoi traite Une Phrase pour ma mère ?
J.-M. B. : Une Phrase pour ma mère est composée d’une phrase qui ne commence pas par une majuscule et au bout de laquelle il n’y a pas de point. Je ne m’empare, bien sûr, que d’une partie de cette phrase qui, dans son intégralité, court sur plus de deux cent pages. C’est comme un cordon ombilical. La figure de la mère est omniprésente, tutélaire. Il s’agit du prisme initial qui détermine le rapport à l’autre. Mais comme tous les grands auteurs de prose, Christian Prigent effectue, à travers ce texte, une traversée des expériences du monde. Tout part de l’intime, de ce nœud qui ne peut être nommé et qui pousse à une fuite vers l’extérieur. Et plus on tente de se rapprocher de cet innommable, plus on se met à révéler les ailleurs que l’on découvre. Cela à travers une forme de joie, de carnaval de la langue.
 
Cette impossibilité à nommer et à comprendre le monde se résout donc dans l’invention verbale, dans la vitalité de la langue…
J.-M. B. : C’est ça, dans quelque chose d’extrêmement touchant qui fait se rejoindre tragique et comique. C’est pourquoi Une Phrase pour ma mère porte le sous-titre de lamento-bouffe. Comme toute bouffonnerie, une forme de pudeur et un sentiment de vide habitent cette écriture. J’ai choisi un extrait qui se situe au milieu de cette œuvre. Il s’agit justement d’un passage sur l’écriture, au sein duquel un ange de la littérature vient caractériser ce qu’est, pour lui, l’acte d’écrire.
 
Comment caractérise-t-il cet acte ?
J.-M. B. : L’ange dit : « …tu diras qu’écrire, ce n’est pas venir adorer le monde ni même le faire voir visible en sa Gloire, encore moins ouvrir ses petits cadeaux au pied du sapin des natalités, tu diras qu’écrire c’est toucher au trou qui fait qu’on y manque, au monde, qu’on le manque… ».
 
Pourquoi votre parti-pris d’évidement de la représentation n’est-il pas allé jusqu’aux lumières ?
J.-M. B. : Je savais que je ne voulais rien d’autre que le texte et un point fixe à partir duquel j’allais faire naître la phrase, mais il fallait bien éclairer ce point. J’ai donc demandé à mon éclairagiste (ndlr, Christophe Forey, en alternance avec Olivier Modol) de créer un langage fait de quelques rendez-vous entre lesquels les lumières s’inventent en direct. C’est donc un duo entre un acteur et un éclairagiste qui s’invente chaque soir, un duo qui vise à inoculer aux spectateurs le germe de la langue de Christian Prigent.
 
Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat


 
Une Phrase pour ma mère, lamento-bouffe de Christian Prigent (texte paru aux éditions P.O.L.) ; mise en scène et jeu de Jean-Marc Bourg. Du 12 janvier au 13 février 2011. Du mercredi au samedi à 20h, le dimanche à 16h. Maison de la Poésie, passage Molière, 157, rue Saint-Martin, 75003 Paris. Tél : 01 44 54 53 00.

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