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Admiratif de cette langue dense et ciselée du XVIIIe siècle, Christophe Rauck, metteur en scène et directeur du Théâtre Gérard Philipe à Saint-Denis, met en scène Les Serments indiscrets de Marivaux, pièce préférée de l’auteur.
Comment avez-vous déterminé votre choix ?
Christophe Rauck : Au départ je voulais travailler sur des textes courts de Marivaux, destinés à la petite salle du théâtre puisque la grande salle est en travaux jusqu’au printemps. J’aime beaucoup Le Legs, mais je ne trouvais pas de seconde pièce pour compléter cette comédie en un acte. C’est ma compagne, Cécile Garcia Fogel, qui m’a fait découvrir Les Serments indiscrets, pièce préférée de Marivaux, plutôt méconnue. Belle, dense et opaque, cette œuvre tout en minutie et délicatesse réclame un juste équilibre. J’aime bien cette opacité dans le rapport amoureux qui consiste à ne pas saisir les choses tout en les voyant nous envahir ! Il faut se glisser entre les lignes pour arriver à faire entendre le rythme cardiaque des amoureux. Les acteurs ont la capacité de rendre compte de cette langue très dense, tout en la dépassant, c’est-à-dire en construisant le jeu qui va avec.
« Mettre en œuvre un voyage fascinant entre hier et aujourd’hui. »
Comment caractérisez-vous cette langue de Marivaux ?
C. R. : Cette langue n’a plus du tout cours aujourd’hui, et c’est un plaisir de se plonger dans le défi de rendre la langue actuelle, pour que les choses nous parlent. Il s’agit de mettre en œuvre un voyage fascinant entre hier et aujourd’hui avec ces grands auteurs du XVIIIème siècle. Pour moi, cette langue, c’est aussi la culture du goût, de l’introspection. Toute cette opacité fait le mystère et la délicatesse de la culture française, une culture sublimée dans les textes, qui n’existe plus. On vient de cette écriture du XVIIIème siècle : toutes les interrogations sociales, politiques et poétiques sont condensées chez ces auteurs-là.
Quelle scénographie avez-vous imaginée ?
C. R. : On est parti de l’idée d’un Marivaux à la bougie, évoquant à la fois les lumières et le mystère. J’ai voulu installer une proximité avec le public, sans contextualiser la pièce dans une époque précise, afin de pouvoir être libre d’effectuer un aller-retour entre hier et aujourd’hui. Marivaux peut aussi faire écho à une comédie de moeurs à la Woody Allen !
Vous affirmez : « Rien n’est dit, tout est à imaginer »…
C. R. : Lucile et Damis (ndlr interprétés par Cécile Garcia Fogel et Pierre-François Garel), hostiles à l’idée du mariage, et dont les pères espèrent l’union, se font le serment de ne pas s’y soumettre, mais éprouvent en se voyant un trouble certain. Or, livrés à cet amour soudain, à la peur, l’attente et l’orgueil, ils ne s’avouent pas leur sentiment, et tout tourne autour de ce non-dit. Ce qui est intéressant n’est pas la résolution de la pièce, mais la tension qui précède. Marivaux est un chirurgien de l’âme. Il installe les protagonistes dans une petite boîte, les observe, les touche, recense leurs stratégies de défense… Et que ce soit chez les jeunes ou les pères, chacun oscille entre son désir d’autorité et son amour filial. Il a fallu aussi que nous nous débarrassions des idées et du regard qu’on porte sur le mariage aujourd’hui pour revenir à la conception de cette époque, sinon la pièce ne fonctionne pas. Le mariage est alors un pacte ou un désir d’alliance et non pas un mariage d’amour. Si on n’est que dans l’amour, tout est général. Cette tension entre le pacte et l’amour nous indique un chemin, crée beaucoup de dynamisme, oblige à créer du concret constamment dans le rapport amoureux.
Propos recueillis par Agnès Santi
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