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Classique / Opéra - Critique

Les Indes galantes de Jean-Philippe Rameau, mis en scène par Clément Cogitore

Les Indes galantes de Jean-Philippe Rameau, mis en scène par Clément Cogitore - Critique sortie Classique / Opéra Paris Opéra Bastille
© Little Shao - OnP

de Jean-Philippe Rameau / mes Clément Cogitore

Publié le 28 septembre 2019 - N° 280

Une distribution musicale 5 étoiles pour cette nouvelle production événement des Indes galantes où le plasticien Clément Cogitore et la chorégraphe Bintou Dembelé font entrer les danses urbaines à l’Opéra Bastille.

La première était attendue : non seulement la nouvelle production des Indes galantes à l’Opéra de Paris regroupe les plus grands talents actuels de la musique baroque ou de l’opéra, mais le plasticien et réalisateur Clément Cogitore, remarqué pour son court-métrage en 2017 sur un extrait de la même œuvre avec des danseurs de Krump, signe sa première mise en scène d’opéra.  Pour faire ses armes, reconnaissons que Les Indes galantes n’est pas l’ouvrage le plus facile. Créé en 1735, cet opéra-ballet de Rameau développe une suite d’intrigues amoureuses parsemées de nombreux quiproquos dans « les différents climats des Indes » (les pays non européens). Autant dire que le flamboyant divertissement de cour cache mal aujourd’hui le dessein politique qui était de glorifier la domination française sur ses récentes colonies – d’Amérique notamment. Loin d’escamoter cet aspect politique, Clément Cogitore fait au contraire de la vision apparemment humaniste de l’Homme des Lumières sur les « sauvages » la clef pour témoigner du malentendu contemporain entre l’homme occidental et le reste du monde. Pour cela, son idée force est de recourir au Krump, cette danse urbaine née dans les ghettos de Los Angeles dans les années 2000, et à d’autres danses du hip-hop, avec la collaboration de la chorégraphe Bintou Dembelé. C’était une réussite dans son court-métrage où l’incandescence des danseurs explosait pendant les cinq minutes du film. Sur un opéra de plus de trois heures, il n’est évidemment pas possible de maintenir la fulgurance de bout en bout. Elle est présente lors du final avec la fameuse « danse des sauvages », aussi électrique que grandiose, un magnifique moment d’énergie collective. En revanche, les danses perdent trop souvent de leur subversivité et de leur rage dans le reste de l’œuvre, comme diluées dans la lourdeur de l’institution, les reléguant parfois à un statut presque décoratif.

La danse abolit la hiérarchie et les frontières entre danseurs, chanteurs, solistes et choristes

De même, certains choix artistiques ou scénographiques de Clément Cogitore peinent à convaincre, ses idées de transpositions paraissant soit trop peu lisibles (pourquoi des pom-poms girls ou un carrousel ?) soit au contraire trop naïves (immense grue, couvertures de survie de migrants, « l’Autre est dans nos rues »). Malgré tout, l’immense réussite tient à la confrontation entre deux mondes apparemment antagonistes, celui des danses urbaines et celui de l’opéra, et à la présence de la danse qui contamine toute la scène, y compris les chanteurs, abolissant la hiérarchie et les frontières traditionnelles entre danseurs, chanteurs, solistes et choristes. Tous adhèrent visiblement à cette nouvelle production, témoignant des progrès scéniques accomplis à l’opéra en quelques années. Outre ses formidables qualités musicales, la nouvelle génération de chanteurs français se signale par un engagement physique exceptionnel. Si tous sont excellents, du vaillant Alexandre Duhamel au puissant Stanislas de Barbeyrac en passant par Florian Sempey, Edwin Crossley-Mercer, Mathias Vidal, Jodie Devos, mentions spéciales à Julie Fuchs qui, outre une voix gagnant en rondeur au fil des ans, fait découvrir un talent de danseuse inattendu, et surtout à Sabine Devieilhe qui offre un moment de grâce avec l’air de Phani « Viens hymen, viens m’unir » chanté mezzo voce. A la tête de l’orchestre de la Cappella Mediterranea, le chef Leonardo García Alarcón impressionne par sa direction précise et fougueuse, qui rend limpide les complexités de la partition, jusque dans ses changements de mesures. L’opéra finit en triomphe, le public ovationnant cette entrée du hip-hop à l’Opéra Bastille. On aimerait pourtant que le mélange des mondes ne se fasse pas que sur la scène, mais aussi dans la salle. Là serait la véritable démocratisation de l’opéra.

Isabelle Stibbe

A propos de l'événement

Les Indes galantes
du vendredi 27 septembre 2019 au mardi 15 octobre 2019
Opéra Bastille
Place de la Bastille, 75012 Paris.

Tél. : 08 92 89 90 90 (* 0,35 € TTC/min depuis un poste fixe hors coût éventuel selon opérateur). Durée : 3h40 avec un entracte.

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