La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Les Enivrés

Les Enivrés - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre de la Tempête

Entretien Clément Poirée

Théâtre de La Tempête / d'Ivan Viripaev /mes Clément Poirée

Publié le 23 août 2018 - N° 268

Le directeur du Théâtre de La Tempête met en scène la ronde nocturne d’Ivan Viripaev, une symphonie où les personnages ivres laissent émerger leur désir de vivre, leur besoin de sens et d’amour.   

Pourquoi avez-vous voulu mettre en scène ce texte ?

 Clément Poirée : L’écriture d’Ivan Viripaev me fascine. Etonnante et singulière, elle rebondit, se métamorphose, à l’intérieur d’une structure apparemment parfaitement cyclique. Il y a toujours du jeu dans cette écriture. Presque par inadvertance, elle révèle des choses très profondes de l’être humain. Si elle assume une veine loufoque et pathétique, elle parvient à atteindre une dimension spirituelle, à susciter des émotions et réflexions aiguës dans un désordre rigoureusement agencé. J’apprécie beaucoup sa manière de concevoir modestement le théâtre : il déclare ne pas s’intéresser à ce qui se passe sur le plateau, mais à ce qui se passe dans la tête du spectateur. C’est aussi ce à quoi je m’attelle. Découvrir son écriture et sa pensée fut pour moi une rencontre importante, qui questionne, nourrit et renouvelle la pratique théâtrale. Né en Sibérie à Irkoutsk en 1974, Ivan Viripaev a connu le succès grâce à la pièce multi-primée Oxygène, qu’il a écrite et interprétée. Acteur, metteur en scène et aujourd’hui surtout dramaturge, il est l’auteur vivant russe le plus joué sur les scènes francophones. Sensible, poétique, organique, revigorant, jamais raisonneur ou donneur de leçon, son théâtre touche profondément.

 « L’ivresse physique laisse place à une ivresse spirituelle. »

  Que raconte Les Enivrés ?

 C.P.: Les quatorze personnages des Enivrés, tous copieusement ivres d’un bout à l’autre de la pièce, s’effondrent, se relèvent, se croisent, s’éprennent, s’épousent, se révèlent aux autres et à eux-mêmes, le temps d’une soirée. Ce ne sont pas des alcooliques réguliers, et ils ont dans l’ensemble professionnellement réussi. La pièce n’a pas pour sujet l’alcoolisme, qui est plutôt ici comme l’allumette qui met le feu aux poudres. L’ivresse physique laisse place à une ivresse spirituelle, comme si elle était là pour ouvrir les cœurs et les âmes. Malgré la mélancolie qui nous tenaille au quotidien, et malgré un matérialisme dévorant et illusoire, cette ronde nocturne célèbre notre propension à l’élévation, notre capacité à aimer et à être ensemble, notre spiritualité. Cela au-delà même du langage, dans une reconnaissance universelle. Même si on ne sait pas ce qu’il en restera le lendemain, c’est réjouissant !

L’ivresse des personnages mène-t-elle à une sorte d’écriture poétique

 C.P.: Après une première scène très burlesque où l’ivresse apparaît dans ce qu’elle a de dégradant, la poésie prend le dessus. Les personnages parlent beaucoup de Dieu sans y croire, de l’existence, de l’amour. Avec toujours la même verve, la poésie avance de scène en scène, dans une langue débridée, drôle, folle, absurde, semblable en effet à une parole poétique inspirée. Les comédiens qui m’entourent sont capables de jouer une telle symphonie. La pièce expérimente une aventure du langage, où l’auteur marie le plus bas et le plus haut, où l’alcool ouvre un chemin spirituel paradoxal, jusqu’à conduire à une forme d’épure.

Propos recueillis par Agnès Santi

A propos de l'événement

Les Enivrés
du vendredi 14 septembre 2018 au dimanche 21 octobre 2018
Théâtre de la Tempête
Cartoucherie, Route du Champ de Manœuvre, 75012 Paris.

du mardi au samedi à 20h, dimanche à 16h. Tél : 01 43 28 36 36.

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