Les Brigands mis en scène par Barrie Kosky : outrance tous azimuts
Palais Garnier / Opéra-bouffe
Publié le 23 septembre 2024 - N° 325L’opéra-bouffe d’Offenbach fait une entrée remarquée sur la scène du Palais Garnier dans une production pleine de verve mise en scène par Barrie Kosky.
Les brigands d’Offenbach sont un peu de partout et de toujours ; la géographie fantaisiste de l’ouvrage – l’acte II se situe dans une auberge à la frontière de l’Espagne et de l’Italie – laisse une certaine latitude à l’interprétation. Barrie Kosky n’hésite pas : les brigands, ce sont ceux qui font frémir le bon ordre social, c’est le monde des marges et de la nuit – les siens seront donc effrontément queer et leur chef Falsacappa a l’apparence de Divine, drag queen icône du cinéma underground des années 1970. L’idée est séduisante pour cet opéra où l’on se travestit de scène en scène. Elle est surtout appliquée rigoureusement par le metteur en scène : ce n’est pas seulement une galerie de personnages qu’il substitue à ceux des librettistes Meilhac et Halévy, c’est un esprit qu’il met en scène, une esthétique de l’outrance tous azimuts (voir l’entrée de la cour de Grenade, avec chevaux et crucifix, tout droit sortie d’un Velázquez plus doré que nature).
Chant dévergondé
Dès l’ouverture, le plateau est littéralement envahi par de joyeux lurons qui ne dépareraient pas dans un extravagant cabaret. C’est d’ailleurs le principal écueil de cette production : toujours en mouvement, la douzaine de danseurs bigarrés – et excellents – redouble le rythme déjà bien vif de la partition, au risque de quelque lourdeur. Car il faut que cela s’accorde avec la musique. La mise en scène de Barrie Kosky y parvient, en un glissement assez plausible de l’esprit bouffe au style cabaret. Le ténor Marcel Beekman est ainsi un Falsacappa tout en ambiguïté : il connaît à n’en pas douter le style de l’œuvre mais ne s’y enferme pas et laisse son accent et les inflexions du parlé dévergonder le chant – idem pour le chœur des faux marmitons qui chantent, dents serrées, « Dissimulons ! ». Ces frontières laissées poreuses entre les deux faces de l’opéra-comique (le chant et les dialogues) s’illustrent aussi avec le désopilant chef des carabiniers de Laurent Naouri. Chante-t-il ? Déclame-t-il ? Peu importe. C’est magnifiquement burlesque, comme les scènes parlées, pleines de gimmicks et répétitions. Les dialogues, réécrits par Antonio Cuenca Ruiz, redonnent à l’œuvre sa charge satirique. L’humoriste Sandrine Sarroche, dans le rôle du caissier aux caisses vides du Prince de Mantoue, mirlitonne joliment en ce soir de première (et par coïncidence soir de formation d’un nouveau gouvernement) ; elle s’acquitte aussi avec panache de son grand air, même si les satisfactions lyriques sont plutôt du côté de Yann Beuron et Mathias Vidal, parfaits ambassadeurs du chant offenbachien, de l’élégant Fragoletto de la mezzo Antoinette Dennefeld ou de la soprano Marie Perbost, d’abord un peu retenue puis s’épanouissant dans les vocalises de Fiorella. Dans la fosse, l’orchestre est chauffé à blanc par Stefano Montanari – mais il manque parfois les couleurs. Le Chœur de l’Opéra est magnifique, dans les moments canaille comme dans le superbe « Soyez pitoyables » de l’acte II.
Jean-Guillaume Lebrun
A propos de l'événement
Les Brigandsdu mardi 24 septembre 2024 au samedi 12 octobre 2024
Opéra Garnier
Opéra Garnier, Palais Garnier, Place de l’Opéra, 75009 Paris.
Du 24 septembre 2024 au 12 octobre 2024.
Les 24, 26, 27 septembre, 2, 3, 5, 8 et 12 octobre à 19h30. Tél. : 08 92 89 90 90.
Durée : 3h05 avec 1 entracte.
Reprise du 26 juin 2025 au 12 juillet 2025.