La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Les belles Ames

Les belles Ames - Critique sortie Théâtre
Crédit photo : Jean-François Delon Légende photo : Laurence Février adapte et interprète le pamphlet caustique de Lydie Salvayre.

Publié le 10 février 2008

Laurence Février adapte et interprète la fiction vipérine imaginée par Lydie Salvayre qui trempe sa plume d’ethnographe lucide dans le vitriol de l’ironie. Un spectacle drôle et décapant.

A la belle âme manque « la force de l’aliénation » dit Hegel dans La Phénoménologie de l’esprit où il décrit cet état de la conscience morale soucieuse de la seule pureté de son intention, idéaliste à l’excès et aboulique par peur de souiller son intériorité splendide. Les riches clients de l’agence Real Voyages qu’invente Lydie Salvayre souffrent tous de ce défaut : incapables de voir l’homme dans le pauvre, ils pérégrinent à travers les banlieues des grandes villes européennes à la recherche de sensations fortes. Ces touristes imbéciles et béats, guidés par Jason, « incivil notoire » recruté pour faciliter le contact avec l’autochtone de la relégation périphérique, observent l’autre sans parvenir à le rencontrer et demeurent enfermés dans la bulle rassurante de leurs a priori condescendants. Ecrit dans une langue jouissive qui choisit ses mots avec un art de la précision et de la drôlerie impayable, le propos de Lydie Salvayre est d’autant plus efficace qu’il est d’une justesse et d’une intelligence ethnographiques redoutables : si ses personnages se veulent anthropologues d’un monde auquel ils restent aveugles, l’auteur malicieuse se révèle une observatrice hors pair de cette bourgeoisie insupportablement égoïste qui frisonne au contact de ce qu’elle n’est pas et qu’elle contemple de toute la hauteur de certitudes axiologiques néocolonialistes. Plaisant écho des discours des politiques et des intellectuels du moment croyant les banlieues peuplées de « sauvageons » et autres barbares, et ignorant l’évidence si efficacement formulée par Claude Lévi-Strauss : « le barbare, c’est d’abord celui qui croit à la barbarie ».
 
L’intelligence d’un texte au rire médecin
 
Soucieuse de faire entendre l’écriture de Lydie Salvayre, génialement pertinente, autant que de raconter la fable désopilante qu’elle invente, Laurence Février a choisi « une mise en voix du roman en suivant la ligne rouge de l’auteur ». Elle interprète avec un bagout et une ironie plaisante ce texte polyphonique, parvenant à donner une belle épaisseur psychologique à chacun des personnages. La scène bruxelloise chez Madame Guitou, pauvresse du bloc G, porte 813 ou celle du parking tagué de bites que les belles âmes proposent de transformer en galerie d’art contemporain sont à cet égard épatantes de vilenie hilarante ! Laurence Février a confié à Ahmed Karetti, danseur-chorégraphe, le soin d’intermèdes qui font respirer le récit et offrent un contraste de silence et de concentration qui dénonce peut-être mieux que les mots eux-même l’insanité des logorrhées idiotes de ces explorateurs bien-pensants. Sur le plateau bientôt envahi par les petits personnages en terre cuite de l’atelier Marie-Laurencin, la récitante et le danseur fabriquent un spectacle bien rythmé et solidement interprété, qui offre le bonheur jubilatoire d’entendre un texte féroce et corrosif, à recommander chaudement comme médecine efficace contre la bêtise ethnocentrique des discours politiques du moment sur la banlieue !
 
Catherine Robert


Les belles Ames, de Lydie Salvayre ; adaptation et mise en scène de Laurence Février. Du 23 janvier au 22 février 2008 à 20h30 ; le dimanche à 15h ; relâche le lundi ainsi que les 3, 10, 12, 13 et 19 février. Théâtre National de Chaillot, 1, place du Trocadéro, 75116 Paris. Réservations au 01 53 65 30 00.

A propos de l'événement


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