Marc Paquien met en scène les comédiens du Français avec un talent puissamment maîtrisé et propose une version tragique, émétique et terrifiante de la pièce au vitriol d’Octave Mirbeau.
En reprenant Mirbeau et en ressuscitant un monde qui peut sembler a priori l’ancêtre désuet du nôtre, Marc Paquien prenait le risque d’un anachronisme poussiéreux. Sa mise en scène explose pourtant comme une bombe dans notre modernité oublieuse qui ferait bien parfois de relire L’Argent de Zola, de se souvenir du krach de l’Union Générale ou du scandale de Panama avant que de s’étonner des appétits carnassiers et des imprudences cyniques des hommes d’argent… En effet, le texte de Mirbeau est d’une contemporanéité grinçante et le personnage principal des Affaires sont les affaires, l’impudent et odieux Isidore Lechat, a tout des grimaçants salauds du bel aujourd’hui… Marc Paquien actualise sans affèteries la situation et les personnages dans un décor, des costumes et des postures ajustant la pièce sans la particulariser. Il se garde des clins d’œil complaisants dont s’encombrent si souvent les pesants de la modernisation. Ses choix théâtraux aussi assurés qu’économes font mouche et laissent au texte toute la place de son efficacité dramatique.
Du drame à la tragédie
Servi par des comédiens justes et précis, au premier rang desquels il faut saluer le formidable Gérard Giroudon qui campe Isidore Lechat avec une maestria confondante, la pièce passe insensiblement du drame à la tragédie avec autant de fluidité que de tenue. La stupéfaction horrifiée remplace bientôt le rire. Le vulgaire Lechat, socialiste par calcul et roturier fier d’une fortune amassée grâce à son flair et à son cynisme commence par amuser à l’instar d’un bourgeois se piquant bêtement de vouloir devenir gentilhomme. Mais son personnage acquiert bientôt une dimension plus grave quand vient le temps de comprendre les effets délétères de la confusion entre le prix et la valeur et cette évidence que demeurent des choses qui ne s’achètent pas. Haï par sa fille, craint par sa femme, méprisé par son fils, Lechat est un pauvre bougre auquel Gérard Giroudon parvient à donner une épaisseur pitoyable, notamment dans les scènes qui l’opposent à son fils – sordide petite crapule manipulatrice et perverse. Marc Paquien fait le choix d’une lecture austère et glaciale qui se retient de la facilité farcesque, faisant se débattre le banquier d’affaires dans un piège qu’il a lui-même tendu en chasseur trop confiant. En entomologiste plutôt qu’en moraliste, Marc Paquien montre combien le méchant est un égaré, plus à plaindre qu’à railler ou à dédouaner par le rire complice. Là est aussi la force de ce travail précis mené avec intelligence et talent.
Les Affaires sont les affaires, d’Octave Mirbeau ; mise en scène de Marc Paquien. Du 18 novembre au 3 janvier 2009. Mardi à 19h ; du mercredi au samedi à 20h ; samedi à 16h. Théâtre du Vieux-Colombier, 21, rue du Vieux-Colombier, 75006 Paris. Réservations au 01 44 39 87 00 / 01.