La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

L’Épreuve

L’Épreuve - Critique sortie Théâtre
Crédit : Brigitte Enguérand Légende : «Loïc Corbery, Audrey Bonnet, Daniel San Pedro dans L’Épreuve par Clément Hervieu-Léger. »

Publié le 10 mars 2012 - N° 196

L’Épreuve de Marivaux par Clément Hervieu-Léger est traversée de rêveries romantiques visionnaires. Dans l’émoi des chutes et la maladresse des corps, affleurent les aveux manifestes des sentiments profonds.

Lucidor, jeune homme bien né de la ville, est convalescent sur ses terres. L’intendante du château, Madame Argante et surtout sa fille Angélique ont entouré le patient de leurs soins. Sur les épaules du maître, alourdies par la douleur de la maladie, pèse l’héritage d’une belle fortune. Sensible à l’attention amoureuse d’Angélique, Lucidor aimerait savoir s’il est aimé pour lui-même ou pour ses biens. Afin d’en avoir le cœur net, l’amant fait appel au valet Frontin, travesti en maître, pour séduire la jeune bourgeoise. Il faut compter avec le fermier Maître Blaise prétendant également à Angélique, à moins que l’argent ne l’intéresse davantage. Le maître du jeu s’amuse des velléités de mariage du paysan, l’orientant sur Lisette, vive et facétieuse. Imbroglio et stratagèmes, Lucidor est un manipulateur qui fait passer l’épreuve de l’affliction et de la peine, non seulement à sa bien-aimée, mais à chacun des personnages, courageux dans l’adversité quand ils découvrent n’être pas aimés à hauteur de leurs voeux. Or, Angélique résiste aux contrariétés dans l’intuition douloureuse d’un amour non réciproque. Victime, elle exprime sa passion par bribes, le langage n’arrive pas à rendre compte de la vie affective. Lucidor lui « parle avec des mots » et elle le « regarde avec des sentiments » (Pierrot le Fou).

Corps à corps énergiques

Dans le silence, Angélique vit l’emprise passionnelle en tant que proie, à la façon de Lucidor, si ce n’est que l’un est bourreau et l’autre, victime. Et puisque les mots hésitants mentent et que les paroles ne révèlent plus les mouvements de l’âme, les corps déguisés traduisent franchement le mal-être. Les voix se font basses pour monter jusqu’aux cris de colère à travers les heurts précipités, les ratés et le poids des chutes dans des corps à corps énergiques, roulant sur le plateau. Loïc Corbery de la Comédie-Française est Lucidor, une silhouette sortie d’un tableau de Caspar David Friedrich. Posant de dos, en vêtements romantiques citadins, tenant une canne, il regarde le ciel tourmenté dans la quête d’un sens à donner à son existence. La méditative Audrey Bonnet est par ailleurs une belle Angélique post moderne. Et Adeline Chagneau en Lisette malicieuse se divertit avec un plaisir gourmand. Nada Strancar, la mère intéressée, est inquiète. Quant à Daniel San Pedro et Stanley Weber, ce sont des coquins pleins de verve et de prestance. Sons de cloches lointains, porte de bois grinçant, chants du coucou, cageot coloré de fruits, brassée jaune de jonquilles éparpillées, la contemplation active de la Nature rend aux cœurs leur pureté, en les arrimant définitivement à la sensualité merveilleuse du monde.

 

Véronique Hotte


L’Épreuve de Marivaux ; mise en scène de Clément Hervieu-Léger.  Les 23 et 24 mars 2012, le 23 à 20h30, le 24 à 17h et 20h30. Théâtre La Piscine 92290 Chatenay-Malabry. Durée du spectacle 1h25.Tél  : 01 41 87 20 84.

 « L’Epreuve » sera aussi repris au TOP de Boulogne-Billancourt la saison prochaine du 10 au 20 janvier 2013.

A propos de l'événement


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