La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Woyczek [Je n’arrive pas à pleurer]

Woyczek [Je n’arrive pas à pleurer] - Critique sortie Théâtre Paris Le Monfort
« Légende : Woyczek ou la tragédie de la différence. CR : Christophe Raynaud de Lage

Critique
Monfort / Büchner- Baro / mes Jean-Pierre Baro

Publié le 24 mars 2013 - N° 207

Etant donné son écriture lacunaire et fragmentée,  le Woyczek de Büchner se prête à bien des expérimentations. Le pari de Jean-Pierre Baro  dans ce spectacle: l’entremêler au récit de la vie de son père. 

Créé au CDN d’Orléans, ce Woyczek tisse des liens très pertinents entre la destinée de l’ancien soldat exécuté pour avoir poignardé son amante, qui a inspiré la pièce de Büchner, et celle du père de l’auteur-metteur en scène, jeune émigré arrivant en France dans les années 60, en provenance du Sénégal. En commun, les figures du réprouvé, du déraciné, du prolétaire qui n’arrive pas à prendre pied dans une société qui le maintient à la marge.  A ce Woyczek en proie à des hallucinations, cobaye d’un docteur gueulard et rudoyé par le capitaine qu’il sert – excellemment interprété par Philippe Noël – fait donc écho la trajectoire du père étudiant, militaire, puis employé chez Dassault, à qui, lorsqu’il arrive pour travailler comme mécanicien d’hélicoptère, on remet immédiatement un balai…  A première vue, le lien n’est pas évident. Mais au fur et à mesure de la pièce, les parallèles se multiplient et justifient les intuitions de Baro, tandis que les deux figures incarnées par Adama Diop se superposent dans celle de l’étrange étranger. Accusé de bêtise, d’animalité et d’absence de sens moral, comme on l’a longtemps fait des noirs, Woyczek est  par exemple raillé, ostracisé, maintenu dans un isolement qui le poussera dans la folie meurtrière, tandis que le jeune homme d’origine peul versera lui dans l’alcoolisme. En fin de compte, tous deux sont des exclus, des errants, des Toutcouleurs  à la solitude renversante, dont le spectacle rend très sensible la mutique souffrance.  « Ca je le sais (…) Toutcouleur ça veut dire s’en aller et se perdre ».

La mise en scène du devenir individuel

Problème. Pour parvenir à tendre ses fils, la pièce patine quelque peu. C’est la figure de la mère de Baro qui porte le récit de la vie du père, dans un espace contingent à celui dans lequel se déploie l’histoire trouée de Woyczek. Sur le plateau, un juke-box et un écran permettent de varier les atmosphères, entre jazz, seventies et piano classique, ambiance germanique et grands espaces américains. Outre le fait que le spectateur met du temps à s’y repérer, le rythme de la pièce est souvent excessivement lent et l’interprétation inégale polluée par d’inutiles actions. La mère qui installe sur sa table sa radio et ses cendriers ou Marie qui étale puis ramasse ses robes par terre ont-elles vraiment besoin de ces béquilles ?  Le double personnage porté par Adama Diop est-il si étrange que le jeu de ce dernier en devienne énigmatique ? Au centre de la scène finale – et de la pièce, dans le fond – ce bébé laissé seul par Woyczek et Marie rappelle que c’est l’existence de Baro qui a pris racine dans ces douleurs. La mise en scène du devenir individuel interroge naturellement celui de notre société, mais l’accouchement ne se fait pas sans difficultés.

Eric Demey

A propos de l'événement

Woyczek [Je n’arrive pas à pleurer]
du mardi 19 mars 2013 au dimanche 7 avril 2013
Le Monfort
106 rue Brancion, 75015 Paris

Du 19 mars au 7 avril, du lundi au samedi à 20h30. Tél : 01 56 08 33 88
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