Le Pays des aveugles
Nino D’Introna interprète, avec une [...]
On les appelle la « Grande » et la « Petite ». Depuis l’enfance, les deux sœurs se chicanent et encore aujourd’hui que le temps les rattrape et commence à gangrener leur mémoire. A travers leur devenir se dévoile la condition faite à la vieillesse dans la société. Le metteur en scène Jorge Lavelli révèle l’écriture de Frédéric Pommier, journaliste et essayiste, qui signe, avec Le Prix des boîtes, sa première pièce.
Frédéric Pommier aborde des questions sociétales telles que l’accompagnement de la maladie d’Alzheimer mais aussi la transsexualité, dans une langue à la fois drôle et mordante, chargée d’humanité.
Jorge Lavelli : Cette liberté et la théâtralité de l’écriture m’ont d’emblée séduit. Frédéric Pommier marie la tragédie de l’existence et le rire. Un rire coriace. Il sème de l’imprévu et de la cocasserie, il trouble les liens de causalité qui habituellement nouent l’action dramatique. Des signes prémonitoires se manifestent, des objets surgissent, le temps se répète… Les deux vieilles filles vivent enfermées dans leurs chamailleries et leurs souvenirs, avec leurs chats, tandis que les gens gravitant autour d’elles tentent de leur soutirer leurs biens. Elles sont méchantes, malheureuses, atrocement drôles, mais aussi très touchantes. Le texte évoque la solitude, l’âpreté du bilan d’une vie quand approche la fin, l’isolement que provoque la maladie. Il porte aussi une charge très critique sur l’attitude du corps médical, des institutions et plus largement de la société face à la vieillesse et à la dégradation de la personne.
Francine Bergé et Catherine Hiegel incarnent ces deux vieilles filles. Comment appréhendez-vous cette écriture avec les acteurs ?
J. L. : Il faut dépasser l’approche explicative du théâtre qui vient de la formation des comédiens et de l’influence de la télévision. Il y a le texte et le point de vue sur le texte. C’est ce qui m’intéresse, pour le jeu comme pour la mise en scène, car c’est un espace de liberté et d’invention. Le théâtre propose un point de vue sur le monde, sur la vie : un regard oblique sur ce qui paraît « normal ». L’écriture de Frédéric Pommier fait voir l’état intime des êtres, ce qui doit s’exprimer à travers la sensibilité de l’acteur. Les interprètes que j’ai choisis possèdent des mondes intérieurs riches, personnels, une disponibilité intellectuelle et spirituelle alliée à une grande rigueur dans le travail. J’aime aussi les outrances assumées, pas caricaturales, mais celles qui résonnent en chacun de nous. Sinon, on se cache derrière les mots. Il faut toujours jouer deux notes en même temps : le premier degré, la fable, la situation, et le second, le point de vue sur le personnage, l’état intérieur.
L’humour trame le texte, mais accompagne aussi votre parcours de metteur en scène.
J. L. : Parce qu’il crée une distance, l’humour est essentiel à la compréhension du monde. Il surmonte toutes les situations. Sans soute sauve-t-il l’homme de tomber dans le vide…
Entretien réalisé par Gwénola David
Nino D’Introna interprète, avec une [...]