La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Le Suicidé

Le Suicidé - Critique sortie Théâtre
Photo : A Manuel L’intellectuel (Olivier Balazuc) accuse la tyrannie.

Publié le 10 novembre 2008

L’action du Suicidé de Erdmann se situe dans les années 30. Visionnaire du destin totalitaire de l’ex-URSS, l’écrivain donne à l’homme un sens à sa vie dans la réparation des misères subies. Une troupe endiablée sous la baguette cinglante de Volodia Serre.

Nicolaï Erdmann est un critique engagé, estimant que son pays sinistré se bonifierait en ces premières années d’initiation stalinienne. Mais l’horreur absolue des purges et des exécutions n’a pas encore été atteinte et la censure et l’exil seront le lot du satiriste. Le metteur en scène Volodia Serre s’attaque avec Le Suicidé à cette période sombre de l’Histoire du siècle passé en donnant au plateau le fouet de l’élan et de l’enthousiasme. L’atmosphère est grotesque et burlesque, ambiance cinéma muet, que souligne la musique live de Jean-Marie Sénia. L’ameublement gris souris – l’horloge rustique et le vaste lit – est cerné par des paillassons de porte sur lesquels les comédiens s’essuient les pieds avec rage. De la fantaisie, des facéties, des grimaces expressionnistes – une femme nymphomane, un homme athlétique -, la réalité du pragmatisme communiste est battue en brèche. La dérision s’attache à la peur des camarades qui craignent délation, famine et chômage dans un sordide appartement communautaire. Humour noir, cynisme, cabrioles langagières, la comédie se moque du totalitarisme dans une intelligence allusive où chaque mot ou geste pèse de tout son poids de méfiance.

La vie sociale est une fabrique de slogans offensante.

L’anti-héros Sémione Sémionovitch (Alexandre Steiger) a des allures chaplinesques, une diction nasillarde aux échos enfantins. Humilié car chômeur vivant aux crochets de sa femme et de sa belle-mère, il se veut libre : « on ne peut vivre comme ça, il faut crever alors … » Le pessimisme du suicidaire est récupéré par des dissidents que son cadavre futur intéresse, surtout sa lettre rédigée au préalable contre le régime. Les candidats à la plainte rassemblent l’intelligentsia russe (le comique Olivier Balazuc), le commerçant, l’artiste, le religieux, l’amoureuse qui défend l’âme contre le corps de sa rivale, sous le regard hébété d’un coursier du Parti en bleu de travail et bicyclette. Ne reste au désespéré qu’à quitter ce monde avec une conscience sociale, « ce qu’un vivant peut penser, il n’y a qu’un mort qui puisse le dire ». Mais le candidat loufoque au trépas n’est pas fou : « Elle existe oui ou non, la vie dans l’autre monde ? » La dictature, la Révolution, ça sert à quoi ici-bas ? La vie sociale est une fabrique de slogans offensante, la victime exige réparation. Sermione Sermionovitch veut vivre en homme contre la masse qui noie les identités. Brouhaha, gaieté et plaisir festif, un réjouissant cocktail sonore et visuel.  

Véronique Hotte


Le Suicidé de Nicolaï Erdman, texte français André Markowicz, mise en scène de Volodia Serre, du 6 novembre au 14 décembre 2008, mardi, mercredi, vendredi 20h30, jeudi, samedi 19h30, dimanche 15h30 au Théâtre 13, 103A boulevard Auguste Blanqui 75013 Paris Tél : 01 45 88 62 22. Le 16 décembre 2008, 20h30 au Théâtre de Corbeil-Essonnes. Texte publié aux Solitaires Intempestifs.

A propos de l'événement


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