La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Le pouvoir des folies théâtrales

Le pouvoir des folies théâtrales - Critique sortie Théâtre Gennevilliers Théâtre de Gennevilliers
Jan Fabre nourrit son geste artistique de l’Histoire de l’art. Crédit photo : Wonge Bergmann

Théâtre de Gennevilliers / Conception et mes Jan Fabre

Publié le 29 janvier 2015 - N° 229

Jan Fabre traverse l’histoire du théâtre en une performance-marathon magistrale qui rend hommage au théâtre tout en le dynamitant. Il reprend aujourd’hui cette pièce créée en 1984 qui marque son irruption sur la grande scène internationale.

Vous vous souvenez ? Le bruissement qui frémit au parterre et s’éteint dans le plein feu éclatant de la scène, la machinerie qui fabrique l’illusion à merveille, les dorures du verbe habilement chantourné qui brillent sous la faconde étourdissante des acteurs… L’exaltation des sentiments et la tension dramatique portées à l’incandescence. Et puis, après, le bal des toilettes parfumées et des sourires distingués, les rumeurs champagnisées et les conversations de rien. Voilà esquissée en quelques traits l’image du théâtre bourgeois qui s’est déposée dans les imaginaires. Ce théâtre qui changeait les grenouilles en princes, que les avant-gardes ont ensuite méthodiquement pilonné tout au long du 20e siècle. Artiste iconoclaste et féru d’histoire des arts, Jan Fabre finit de dépecer le cadavre du défunt, qui continue pourtant de gigoter, répétant inlassablement les mêmes pièces, perclus dans l’orgueil de sa magnificence d’antan. Le personnage, le récit, l’action dramatique, le temps, le simulacre, le décorum de velours rouge… Tous les codes théâtraux mis en œuvre par et pour l’esprit bourgeois y trépassent. Y succombe aussi le processus même de la création et de la représentation, fait de répétitions, d’ordre et de soumission. S’y ajoute enfin la critique du pouvoir des égos tyranniques qui envahissent de tout temps le plateau, acteurs et metteurs et scène y jouant chacun leur partie.

Éloge et pamphlet

Créée à la Biennale de Venise en 1984 puis remontée en 2012, Le Pouvoir des folies théâtrales tient de l’éloge autant que du pamphlet. Car l’artiste flamand célèbre en fossoyeur la grandeur disparue de ce théâtre, qui s’exalte dans le souvenir de son passé prestigieux, et salue les grands maîtres des 19e et 20e siècles qui ont fomenté sa déconstruction, des fondateurs du théâtre d’art à Moscou aux artisans de la danse postmoderne et contemporaine à New York dans les années 60 et 70. Si Jan Fabre invente un langage nouveau sur ces ruines, il rend ici hommage, à sa manière, à ceux qui ont ouvert la brèche. Pantalons noirs et chemises blanches, les onze interprètes (époustouflants) poussent à bout le discours et le procédé théâtral, jusqu’à l’épuisement des corps, des situations… et des spectateurs. Chaque séquence, étirée à son paroxysme, tourne à la performance et flirte avec les limites. Œuvre magistrale, qui allie puissance du sens et de la forme, Le Pouvoir des folies théâtrales contient déjà toutes les réflexions qui minent encore aujourd’hui les arts de la scène. Sans doute la folie est-elle là…

Gwénola David

A propos de l'événement

Le pouvoir des folies théâtrales
du vendredi 6 février 2015 au jeudi 12 février 2015
Théâtre de Gennevilliers
41 Avenue des Grésillons, 92230 Gennevilliers, France

à 19h30, sauf dimanche à 15h, relâche lundi. Tél. : 01 41 32 26 26. Durée : 4h20. Spectacle vu au Festival d’Avignon 2013. Le texte et la captation de la pièce réalisée en 1984 sont édités à L’Arche.

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