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La Maison des Métallos / d’après l’essai de Didier Eribon / adaptation et mes Laurent Hatat
Publié le 29 janvier 2015 - N° 229Laurent Hatat adapte au théâtre l’auto-analyse du sociologue Didier Eribon : une très belle mise en scène, à la conjonction de la pensée et de l’émotion. La puissance de l’incarnation y révèle la domination de l’ordre social et la nécessité de sa critique.
Laurent Hatat poursuit son travail d’adaptation au théâtre de textes non dramatiques, et met en scène, à partir de l’essai du sociologue Didier Eribon, un dialogue poignant entre une mère et son fils, qui revient dans sa famille après des années d’absence, le lendemain des obsèques du père. A la fois enquête et quête, confession et dévoilement, l’essai se révèle percutant et atypique par le fait que l’auteur est ici le sujet de l’analyse, et qu’il explore son passé et son milieu familial ouvrier avec une finesse et une précision remarquablement nuancées. Dans la lignée de Bourdieu, l’aveu de ce “transfuge“ du monde d’en bas, qui s’est hissé grâce au savoir jusqu’aux sphères cultivées, explicite sans détour les ressorts de la domination sociale, les multiples formes d’expression de la violence et du verdict sociaux, et la généalogie de la honte des origines. En s’inscrivant dans la vivante vérité de la relation entre la mère et le fils, la mise en scène de Laurent Hatat est une magistrale réussite qui se fonde sur la puissance de l’incarnation. A la conjonction de la pensée et de l’émotion, le théâtre révèle ici toute la densité et l’acuité de ce lien filial qui s’exprime par son déni, un déni qui marque et agit au présent, alors même que la rupture avec son milieu s’avère à la fois infiniment libératrice et plus douloureuse que l’on croit.
Tenue et maîtrise
Un fossé grandissant sépare le fils et sa famille… « Rien ne nous attachait, ne nous rattachait l’un à l’autre. Du moins le croyais-je, ou avais-je tant souhaité le croire, puisque je pensais qu’on pouvait vivre sa vie à l’écart de sa famille et s’inventer soi-même en tournant le dos à son passé et à ceux qui l’avaient peuplé. » Fuyant tout espèce d’effet qui serait ici superflu et vain, misant au contraire sur une grande sobriété et une économie de moyens, Laurent Hatat laisse se déployer le poids et la valeur des mots, et des sentiments, et des corps aussi de ces deux éblouissants acteurs. Deux personnes se livrent jusque dans leurs silences, et les mouvements et les nuances de la pensée apparaissent dans toute leur amplitude concrète et leur affirmation entêtée. Avec tenue et maîtrise, comme il sied à ce texte si épris de justesse. Sylvie Debrun est vraiment très impressionnante, et Antoine Mathieu est bouleversant. L’intime, le social et le politique se rejoignent, y compris dans leurs paradoxes. L’ordre social est subi, mais l’analyse invite aussi à sa critique radicale. Une excellente et passionnante pièce : à voir par le plus grand nombre !
Agnès Santi
A propos de l'événement
Retour à Reimsdu mardi 3 février 2015 au dimanche 22 février 2015
La Maison des Métallos
94 Rue Jean-Pierre Timbaud, 75011 Paris, France
à 20h, sauf samedi à 19h, dimanche à 16h. Tél : 01 47 00 25 20. Spectacle vu à La Manufacture, Avignon Off 2014, lors de sa création.