Théâtre - Critique /Reprise/Magie nouvelle
Le Paradoxe de Georges de Yann Frisch
conception Yann Frisch
Publié le 17 juillet 2020 - N° 286Reprise de cet excellent spectacle de Yann Frisch à L’Onde de Velizy. Un seul en scène sur à la carte à jouer. Une grande figure de la magie nouvelle.
Pour Yann Frisch, la magie est une discipline de l’intranquillité. Si elle divertit, c’est sur un malentendu. Pour mieux aller débusquer ce qui cloche dans le monde et chez l’humain. Pour questionner les ressorts de la croyance et de la manipulation. Après le syndrome de la fameuse Cassandre, c’est en effet au paradoxe d’un certain Georges que s’intéresse le magicien multi-primé, également formé au clown. Plus précisément, nous renseigne-t-il entre deux numéros, celui de George Edward Moore, un des fondateurs de la philosophie analytique tombé dans l’oubli hors des cercles de spécialistes. Mais dont Yann Frisch exhume l’examen d’une contradiction : celle que contient une phrase telle que « Il pleut dehors, mais je ne crois pas qu’il pleuve ». Le parallèle avec la magie est évident. Pour le mettre à jour, l’artiste abandonne le nez noir et la mine déconfite qu’il arborait dans Le Syndrome de Cassandre, au profit d’un joli costume bleu légèrement anachronique et d’un sourire charmeur. Dans Le Paradoxe de George, le magicien l’emporte sur le clown. Et la parole se joint à l’action autour d’un des accessoires de base de la magie moderne : la carte à jouer. Avec sa dégaine de savant un peu barré, Yann Frisch illusionne tout en discourant avec fougue sur les « trucs » des magiciens. Sur leurs mensonges qu’on gobe avec joie.
La magie cartes sur table
Le rapport entre le prestidigitateur et son public est d’emblée placé sous le signe du trouble. De l’étrange. Pourquoi venir en sachant d’avance qu’on ne verra que du faux ? Que, si une carte semble voler ou surgir de nulle part, c’est nécessairement du chiqué ? Avec un mot, un trait d’humour pour chacun, Yann Frisch interroge. Il formule ce qui d’habitude est tacite. Tout comme il révélait le tragique du clown dans sa création précédente, il exhibe ici le sérieux du magicien. Sa réflexion à la croisée de la technique et des sciences humaines. Dans Le Paradoxe de Georges, le mélange de sublime et de trivial du magicien est porté à un sommet. Bien sûr, les cartes choisies mentalement par les spectateurs sont devinées par le magicien. Et celles qui disparaissent de la table réapparaissent dans une poche, ou inversement, avec une parfaite maîtrise. Mais ce qui est vraiment virtuose, c’est de réussir à doubler tous ces tours classiques d’un discours critique, sans leur faire perdre de leur force d’enchantement. Et même en leur ajoutant de la profondeur. Du vertige. Avec ses cinquante-deux partenaires de papier, Yann Frisch nous mène ainsi non pas en bateau, mais en camion. Et il nous emprunte des routes passionnantes et inattendues.
Anaïs Heluin
A propos de l'événement
Le Paradoxe de Georgesdu mercredi 30 septembre 2020 au samedi 3 octobre 2020
L'Onde - Centre d'art
8 bis, avenue Louis Breguet 78140 Vélizy-Villacoublay