« Le Molière imaginaire » d’Olivier Py, un rêve ardent en proximité avec la mort
Sortie film
Publié le 27 janvier 2024 - N° 318L’homme de théâtre Olivier Py imprime son geste artistique sur écran. Une flamboyante mise en scène de la fin de vie de Molière au cœur du Théâtre du Palais-Royal, un rêve ardent où se confondent la flamme de l’art et celle de la vie.
Sur la scène du Palais Royal, le 17 février 1673, Molière (Laurent Lafitte) joue l’hypocondre Argan dans Le Malade imaginaire. S’il contrefait le mort en éternel amoureux du jeu, nous sommes prévenus que la grande faucheuse le rattrapera, deux heures plus tard. Unité de lieu, de temps et d’action, se dit-on, quoique ce point de départ limpide nous entraîne dans des coulisses hantées par quelques secrets inattendus. Molière n’a laissé aucune lettre et aucun manuscrit, et sa biographie nourrie de sources lacunaires fut selon les époques plus ou moins romancée, laissant prise à diverses libertés… Ce film aussi, s’il retrace des faits avérés, transforme l’illustre Jean-Baptiste Poquelin en surface de projection. L’homme de théâtre et le metteur en scène d’opéra Olivier Py n’a jamais mis en scène Molière, mais il confie avoir joué dans Le Malade imaginaireà 25 ans, dans une mise en scène de Jean-Luc Lagarce, alors malade du Sida et tout proche de la mort. À travers cette mise en scène de la fin de vie de Molière, c’est la condition de l’artiste face à la mort qu’Olivier Py explore, dans une société où prospèrent hypocrisies et trahisons, à peine consolée par des semblants d’amour. Le metteur en scène propose une vision très personnelle de la vie du grand homme, qui plutôt qu’une déconstruction du mythe met en forme un rêve habité de son propre imaginaire, de ses propres désirs et sujets de prédilection, tel par exemple le rapport entre l’artiste et le politique, toujours chez lui grinçant et ostensible. Ici l’outrance n’est pourtant pas ce qui prime.
Rêverie flamboyante et funèbre
La mise en scène accorde à la mort une place prépondérante, immense, qui imprègne tout le film jusqu’à une scène finale glaçante. Dans une constante proximité avec l’inéluctable fin, le geste artistique comme le désir s’affirment contre le vide, contre la disparition. Art éphémère qui ne laisse pas de trace, le théâtre revit en beauté grâce à l’écran. Le film écarte tout surplomb du regard, installant ses protagonistes dans un théâtre labyrinthique, intime, qui enferme autant qu’il expose au regard. Au fil d’un plan séquence millimétré, la caméra visite tous les lieux du théâtre en or et rouge, éclairé à la bougie : la salle où persiflent des marquises ricanantes aux extravagantes perruques, où le public se donne en représentation sans trop s’intéresser à la pièce, la scène où autour de Molière en souffrance se pressent la troupe inquiète et le fidèle Chapelle (Jean-Damien Barbin), les entrailles du théâtre, là où attend le fantôme tutélaire de Madeleine (Jeanne Balibar), qui ne pardonne pas l’union avec Armande (Stacy Martin, très belle). Considérée à certaines époques comme la petite sœur de Madeleine, la toute jeune épouse de Molière apparaît ici comme la fille de sa première compagne. Le film met l’accent sur un aspect méconnu de la vie de Molière, révélé selon le metteur en scène par « une convergence de sources » : sa relation amoureuse avec le jeune et beau Michel Baron (Bertrand de Roffignac), comédien star de l’époque, alangui nu dans un bain laiteux, courtisé de toutes parts. Avec des comédiens tous vraiment excellents, une rêverie baroque flamboyante et funèbre se déploie, où s’entrelacent la beauté et l’ironie. La flamme de la vie et celle de l’art se confondent, une flamme qui sublime et transcende, malgré tout le ridicule de ces vies en représentation, malgré la désolation de la mort.
Agnès Santi
A propos de l'événement
Le Molière imaginaireSortie le 14 février 2024. Mémento Distribution.