Le Bal est au Monfort
Un West side story qui vire au Tarantino [...]
À la tête de sa compagnie Les Sans Cou, Igor Mendjisky adapte le chef d’œuvre de Mikhaïl Boulgakov, écrit entre 1928 et 1940. Il en restitue l’hybride mais reste au seuil de sa folie.
Le foisonnement, la folie du Maître et Marguerite de Mikhaïl Boulgakov trouvent régulièrement des ambassadeurs parmi les artistes majeurs de la scène européenne. L’Allemand Frank Castorf, en 2002, traversait ce roman afin d’interroger les mécanismes de censure dont il fut lui-même souvent victime en R.D.A. La même année, le Polonais Krystian Lupa en faisait une adaptation de plus de dix heures, interrogeant l’histoire de l’Europe de la Seconde Guerre mondiale au début des années 2000. Et, en 2012, le Britannique Simon McBurney ouvrait au Palais des Papes le Festival d’Avignon avec une version condensée en trois heures du roman. Directeur de la compagnie Les Sans Cou, Igor Mendjisky va plus loin encore dans le parti pris de brièveté. Sur le plateau – dans les rôles du poète Ivan et du directeur de théâtre Rimski – avec sept comédiens, il parvient à développer en deux heures à peine les trois fils narratifs principaux du livre sans perdre les spectateurs, installés dans un dispositif trifrontal. Le Diable alias Woland (excellent Romain Cottard, dont l’élégance égale l’effronterie) vient très clairement sur Terre pour y renverser l’ordre établi et faire vaciller les croyances. Le Christ (Yuriy Zavalnyouk, qui incarne aussi Azazello, l’émissaire du Diable auprès de Marguerite) s’entretient avec Pilate (Adrien Gamba Gontard) dans l’Évangile apocryphe imaginé par Le Maître (Marc Arnaud), qui forme avec Marguerite (Ester Van den Driessche, en alternance avec Marion Déjardin) un des couples mythiques de la littérature du XXème siècle.
Sur les cendres de l’Histoire
La grande clarté du récit, réduit à ses lignes saillantes, repose sur un habile fondu-enchaîné qui doit beaucoup à la qualité de l’interprétation. Grâce à un jeu de profondeur et à l’univers sonore et vidéo créé par Yannick Donet, les différentes strates du récit cohabitent sans entrer en conflit. Alors que Mikhaïl Boulgakov se plaît à entremêler sans cesse ses trois intrigues centrales, et à leur ajouter de multiples ramifications. Au lieu d’égarer le public, ce Maître et Marguerite le plonge dans un univers mi-réaliste mi-fantastique qui séduit sans troubler. Tombé du plafond après la discussion initiale sur l’existence de Dieu entre Ivan et Berlioz, rédacteur en chef d’une revue littéraire, le tas de cendres ou de poussière qui occupe le centre du plateau ne salit personne. Il est au contraire un foyer où, à force de côtoyer le sublime, l’abject perd de sa force. Où la crise de la Russie des années 30 se confond avec celle des sociétés actuelles sans faire naître de véritable regard sur le sens de l’Histoire. Réputé pour ses créations issues d’une écriture de plateau – créé en 2011, J’ai couru comme dans un rêve a tourné jusqu’en 2017 – Igor Mendjisky aurait sans doute gagné à faire davantage confiance aux capacités d’improvisation de ses beaux comédiens. Le cri de révolte de Boulgakov contre le régime soviétique, sa liberté formelle, seraient parvenus jusqu’à nous avec davantage d’intensité.
Anaïs Heluin
du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h. Tel : 01 43 28 36 36. www.la-tempete.fr. Également du 6 au 27 juillet à Avignon au 11• Gilgamesh Belleville, du 6 au 9 mars au Grand T à Nantes, les 12 et 13 mars au Théâtre Firmin-Gémier – La Piscine à Antony…
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