La Terrasse

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Avignon 2023-Théâtre-Critique

Le Jardin des délices par Philippe Quesne et les siens : une expédition délicieusement farfelue au cœur de la Carrière Boulbon

Le Jardin des délices par Philippe Quesne et les siens : une expédition délicieusement farfelue au cœur de la Carrière Boulbon - Critique sortie Avignon / 2023 Boulbon Carrière Boulbon
Philippe Quesne crée Le Jardin des délices à la carrière Boulbon CR : Christophe Raynaud de Lage

Carrière Boulbon / Conception, mise en scène et scénographie Philippe Quesne

Publié le 13 juillet 2023 - N° 312

Philippe Quesne et les siens nous embarquent dans une drôle d’expédition, joyeusement foutraque et décalée, qui se plaît à mettre à distance en toute fantaisie les menaces qui pèsent sur notre monde.  Un délice théâtral, créé à partir du foisonnant triptyque de Jérôme Bosch. À ne pas manquer !  

Ni jardin ni délices à découvrir lorsqu’on s’installe sur les gradins : la Carrière Boulbon, réouverte après sept ans de fermeture, est nue, no man’s land minéral, désertique, d’une beauté qui en impose. Un espace prêt à accueillir un drôle d’équipage, un groupe de sept visiteurs étranges, décalés, accompagnés par un guide empressé ; tous semblent comme déguisés en santiags et chapeaux de cow-boys, immergés dans un western sans héros ni armes à feu, sans véritable intrigue ni paroles de conflits. Dans cette expédition bizarre, le bus qui les transporte est un peu déglingué : il faut le pousser pour qu’il avance, et, on l’entendra bientôt, le volant est flanqué d’un piano. Tous portent un toast à… « qui nous savons », à « tout ce qui reste à découvrir ». Qui nous savons ? Soit un œuf énorme, posé là de guingois, qui semble de la plus haute importance, qui déclenche un rituel musical, maladroit, hautement spirituel. Relique désespérément vide, matrice fécondée d’où devrait s’échapper la vie impatiente, abri fantasmagorique ? Cet œuf massif, énigmatique, est quasi le seul élément tangible évoquant directement le triptyque fascinant de Jérôme Bosch, sans oublier une moule géante qui apparaît lors d’une scène chantée hilarante. Philippe Quesne s’est déjà librement inspiré de l’univers de peintres –  Brueghel, Dürer ou Caspard Friedrich.

Vers quel futur ?

Structuré en trois parties entre Paradis bucolique, humanité grouillante au cœur d’un bestiaire organique et Enfer cauchemardesque, créé à un moment de bascule entre la fin de Moyen Âge et le début de la Renaissance, le tableau constitue un point de départ à une épopée ludique, farfelue, aux infinis possibles malgré les contraintes imposées à cette petite communauté. Notre époque aussi s’inscrit dans un moment de confusion, alors que des dangers majeurs se profilent de plus en plus visiblement pour la planète. Déjà présent dans des œuvres précédentes (de manière simplement frontale dans Farm fatale), le souci de l’urgence écologique imprègne ici la scène de manière diffuse, questionnante. Ce qui enchante, c’est justement cette multiplicité incertaine, ces chemins pluriels que dessinent l’artiste et les siens, pétris d’incertitudes et d’étonnements, et, surtout, l’humour qui caractérise les relations qui se nouent –  ou pas –  entre ces spécimens humains atypiques. La mise en scène utilise la grandeur du lieu, avec cigales qui se taisent sur commande, orages qui grondent sur les murs. Malgré quelques petits moments de flottement dans la seconde partie, où intervient un mollusque prolixe (et plutôt vertébré), la partition réjouit les sens et aiguise l’esprit. Jean-Charles Dumay, Léo Gobin, Sébastien Jacobs, Elina Löwensohn, Nuno Lucas, Isabelle Prim, Thierry Raynaud et Gaëtan Vourc’h forment un ensemble disparate et facétieux. Entre situations drolatiques, poèmes partagés – dont ceux de Dante – déclamés avec application, entre chants et sonorités d’un violoncelle, cette nouvelle création savamment bricolée célèbre de belle façon les vingt ans de la compagnie Vivarium Studio, à l’aube d’un futur qu’on espère secouru. En art comme en science, le pouvoir de l’imagination est un trésor !

Agnès Santi

A propos de l'événement

Le jardin des délices
du jeudi 6 juillet 2023 au mardi 18 juillet 2023
Carrière Boulbon
Carrière Boulbon, 13150 Boulbon

à 21h30, relâche les 8 et 13 juillet. Tel : 04 90 14 14 14. Durée : 2h.

 

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