La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Le conte d’hiver

Le conte d’hiver - Critique sortie Théâtre
Crédit photo : pierregrosbois.net Légende photo : Jacques Osinski travaille sur la « dématérialisation » de la représentation

Publié le 10 avril 2008

Après Richard II, Jacques Osinski revient à Shakespeare. Il donne du Conte d’hiver une version épurée, tendant vers l’irréalité du rêve, au risque de brider la vitalité de la représentation.

« Un conte triste vaut mieux pour l’hiver; j’en sais un de revenants et de lutins. (…) Il y avait une fois un homme… qui demeurait près d’un cimetière… » murmure Mamillius aux l’oreille de sa mère, Hermione. Comme si l’enfant présageait du funeste destin qui bientôt le condamnerait. Il aura suffit que l’ombre d’un instant éclipse la raison de Léontès, roi de Sicile, pour que son imaginaire s’enflamme et brûle vif sous la torture du soupçon : pourquoi son cher complice d’enfance, Polixénès, roi de Bohême, qui avait repoussé son insistante demande de prolonger son séjour, a-t-il cédé à la prière d’Hermione, si ce n’est parce que ces deux là commettent l’adultère ? Saisi soudain d’une colère démentielle éperonnée par la jalousie, il projette d’assassiner son ami, emprisonne sa chaste épouse, livre sa fille à peine née aux féroces caprices de la nature, cadenassant contre tous les sages conseils le piège de sa paranoïa meurtrière. Il faudra que la mort frappe, que la providence déjoue patiemment l’écheveau du drame et renoue les fils de l’avenir, que les cruelles épreuves du chagrin purge la haine maligne, enfin que les enfants dépassent l’erreur des pères pour que reviennent l’harmonie, le pardon et la félicité.
 
Entre l’irréalité du théâtre et la réalité du monde
 
Dans cette « romance tardive », datée de 1611, Shakespeare jouxte les genres et transgresse allègrement les règles du théâtre classique. A la tragique tyrannie de la jalouse folie qui sacrifie l’innocence et fait basculer le monde dans la désolation, succède une comédie pastorale, fraîche et enjouée comme un vent de printemps, qui s’achève par un dénouement proprement fantastique. L’auteur s’affranchit tout autant de l’unité de temps, des données de la géographie et de la chronologie, faisant de la Bohême un royaume maritime et de Jules Romain un contemporain de l’oracle de Delphes. Ce « conte » d’hiver appartient bien à l’univers du fabuleux et résonne comme une fable initiatique sur la fatale confusion de l’imaginaire et du réel, sur le mirage de l’enfance éternelle et la transmission filiale. La mort, ce fantôme mélancolique qui presse le temps, irréversiblement, traîne même parmi les fleurs. « Monter Le Conte d’hiver, c’est (…) poursuivre un travail sur l’irréalité, sur le rêve, c’est voyager entre l’irréalité du théâtre et la réalité du monde. » souligne Jacques Osinski. Sa mise en scène travaille ainsi sur la « dématérialisation », à partir d’une scénographie abstraite, toute en motifs géométriques. Le plateau, d’abord immaculé, dépouillé pour le drame, se colore de tâches florales évoquées par les lumières et des images vidéos très graphiques, puis retrouve ses arides camaïeux rectilignes. Si la métamorphose de l’espace cherche à dessiner la dramaturgie, elle gaine surtout la représentation dans une esthétique certes joliment propre mais trop compassée. Sans doute Maud Le Grevellec et Aline Le Berre trouvent-elle leur liberté. Linterprétation oublie cependant cette prodigieuse vitalité inscrite dans le vers shakespearien où les moindres nuances de la pensée et de l’émotion y gravent leurs rythmes et leurs tonalités. Manquent ici la sauvagerie souterraine, le jeu des forces symboliques, l’ambivalence… ce qui fait aussi la puissance du conte.
 
Gwénola David


Le Conte d’hiver, de Shakespeare, mise en scène de Jacques Osinski, jusqu’au 13 avril 2008 à 20h30, sauf jeudi à 19h30 et dimanche à 16h, relâche le lundi 7 avril, au Théâtre Jean-Arp, 22 rue Paul Vaillant-Couturier, 92140 Clamart.
Rens. 01 41 90 17 02 et www.theatrearp.com. Puis en tournée. Spectacle vu au Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines. Durée : 3h35 avec entracte.

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