La Vie est un rêve
Théâtre 71 / La Vie est un rêve / de Pedro Calderón de la Barca / mes Jacques Vincey
Publié le 18 décembre 2012 - N° 205Jacques Vincey met en scène La Vie est un rêve, de Calderón. Son orchestration impeccable s’appuie sur les talents ajoutés de tous les artistes réunis par ce projet. Une remarquable réussite !
Dans une Pologne imaginaire, Basile, vieux roi terrifié par le présage funeste que son fils conduira son royaume à la ruine, croit se protéger de la menace lue dans les étoiles en faisant élever cet enfant comme une bête, dans une tour perdue dans la montagne. Rosaura, une jeune femme venue en Pologne pour venger son honneur et sa vertu bafoués, et retrouver son père grâce à l’épée que lui a confiée sa mère, rencontre le monstrueux Sigismond dans sa relégation terrifiante. Introduite à la cour par Clotharde, qui reconnaît son fer et sa fille, elle cherche à assouvir sa vengeance. Dans le même temps, Basile provoque le destin et rétablit Sigismond dans ses droits, en lui faisant croire que son retour au palais est un rêve. La pièce de Calderón joue de la dualité. La cour est le rêve de la tour, quand la seconde est le cauchemar de la première. Basile, père indigne, s’oppose à Clotharde, précepteur du monstre, Rosaura, femme-soldat, à Etoile, femme à prendre. De même, les serviteurs vont par deux. Sigismond trouve en Astolphe le double à éliminer sur le chemin de l’amour et du pouvoir. Si Clairon, le serviteur pleutre et drôle, est le seul à demeurer sans égal, c’est peut-être parce que le rire est l’unique rempart contre la confusion des songes et la duperie des apparences.
Un théâtre de rêve !
En même temps, cette dualité est trompeuse car ces catégories sont mouvantes. Sigismond, élevé loin des afféteries de la cour et de ses usages, apparaît comme un monstre, quand son naturel querelleur et violeur se révèle. Mais ce monstre dissimulé qu’est Basile, vieux Kronos égoïste, n’est-il pas pire que le rejeton dégénéré qu’il torture ? Astolphe le policé et Etoile la précieuse ne sont-ils pas des bêtes odieuses sous leurs atours élégants ? Rosaura n’est-elle pas louve terrifiante, sous ses airs d’agnelle éplorée ? Calderón se plaît à brouiller les points de vue, et au-delà de l’opposition entre veille et sommeil, interroge avec une acuité fascinante celle de l’essence et de l’apparence. Le grand mérite de Jacques Vincey est de mettre le spectacle au service de cette interrogation. D’abord, en faisant le choix d’un décor unique, que seule la lumière (magnifique travail de Marie-Christine Soma) transforme en tour ou palais : l’éclairage fait le lieu, comme le point de vue fait la réalité. La musique et le son d’Alexandre Meyer et Frédéric Minière contribuent à organiser le même trouble. Quant aux acteurs, ils servent cette partition complexe avec une éblouissante subtilité, modulant brillamment l’évolution psychologique de leurs personnages. Et quand Clairon (excellent Philippe Vieux) meurt en bord de scène, presque étonné d’ainsi quitter la comédie, on frémit à l’idée que si la vie est un songe, seule la mort peut réveiller le rêveur. Reste le théâtre, gloire des apparences, comme consolation, surtout quand il est à la hauteur de ce magnifique spectacle.
Catherine Robert
A propos de l'événement
La Vie est un rêvedu mardi 22 janvier 2013 au samedi 2 février 2013
Théâtre 71
3, place du 11 novembre, 92240 Malakoff
Du 22 janvier au 2 février 2013. Mardi et vendredi à 20h30 ; mercredi, jeudi et samedi à 19h30 ; dimanche à 16h. Tél. : 01 55 48 91 00. Spectacle vu au Théâtre du Nord, à Lille. Durée : 2h30.