La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Robin Renucci / Faire ensemble

Robin Renucci / Faire ensemble - Critique sortie Théâtre Pantin Tréteaux de France.
Crédit photo : JC Bardot / Le Bar Floréal

Directeur des Tréteaux de France

Publié le 18 décembre 2012 - N° 205

Depuis juillet 2011, Robin Renucci dirige les Tréteaux de France. Il succède à Marcel Maréchal et à Jean Danet, fondateur du seul Centre Dramatique National itinérant de France. Conjuguant création, transmission et formation, les Tréteaux de France renouvellent leur projet sous la houlette de cet intransigeant et enthousiaste militant de l’éducation populaire.

Accroche : « Aller à la rencontre du public, ce n’est pas seulement balayer la province avec des spectacles parisiens. »

Qu’est-ce qui guide votre projet à la tête des Tréteaux de France ?

Robin Renucci : J’ai été nommé sur un projet qui respecte le cahier des charges d’un CDN avec mission de service public : la création, la production et la diffusion, ces trois éléments étant intrinsèquement liés à la transmission et à l’éducation populaire, qui président, selon moi, aux missions des Tréteaux de France. Diffuser, c’est aller vers les territoires. Cet « aller vers » est le paradigme du projet d’André Malraux, qui a fondé les politiques culturelles de notre pays et la décentralisation. Notre projet de diffusion est d’autant plus fort qu’il repose sur des œuvres puissantes : ainsi le Ruy Blas du TNP avec lequel nous sommes en tournée. Mais cet « aller vers » doit se conjuguer avec un « à partir de », je crois que la diffusion n’est rien sans l’infusion ! Chacun est porteur de culture et n’a pas seulement à accéder à la connaissance des belles œuvres. On ne s’adresse pas à des espaces vides, où il n’y a pas de théâtre, mais à des lieux où les gens ont des choses à dire et à exprimer. Dans ces espaces pleins d’initiatives et riches d’actions, il s’agit  de faire avec, de faire ensemble. C’est cet échange entre infusion et diffusion que je voudrais mettre en exergue de mon premier mandat.

Pourquoi la volonté d’une telle dialectique entre le public et les œuvres ?

R. R. : Parce qu’elle participe de la réflexion sur la question de la contribution du public, quand il n’est pas seulement considéré comme un consommateur. Transformer la relation entre producteurs et consommateurs relève d’une perspective sociétale plus large que celle du seul champ culturel. Mais elle est indispensable dans ce domaine. Il n’y a, en effet, de théâtre que si le public contribue à le produire. Aller à la rencontre du public, ce n’est donc pas seulement balayer la province avec des spectacles parisiens, mais également imaginer des pratiques qui permettent de travailler en infusion sur toute la chaîne des éducations, les Tréteaux de France en constituant un des maillons.

Quelle conception défendez-vous de cette éducation à la culture ?

R. R. : Depuis l’enfance jusqu’à l’université, il faut qu’une éducation culturelle soit prodiguée par la pratique artistique et pas seulement par la sensibilisation aux grandes œuvres. Il s’agit évidemment de rencontrer le corps enseignant et tous les maillons de cette chaine éducative, afin de contribuer à leur donner des outils qui permettent ce travail d’infusion. Mais il faut aussi intervenir dans le temps libre, capté par les industries de masse, qui doit être un temps de réflexion et de partage, de pratique, de lecture à voix haute. Quand les Tréteaux de France sont quelque part, il s’agit pour eux de « faire ensemble », de partir du terreau des propositions pour y construire quelque chose. Il s’agit en cela de reconstruire du bien commun et du sens commun. Le but est de participer à la constitution de « spec-acteurs », comme dit Jacques Rancière : des spectateurs acteurs du champ symbolique de l’imaginaire en œuvre. Sans toit ni maison, nous allons où le théâtre ne va pas, en prison, avec les associations qui s’occupent des sans abris. Il ne s’agit pas de ramasser tous les publics à l’épuisette, mais de les écouter. Chaque récit singulier est une richesse possible pour la parole à partager sur scène. Le théâtre est une fabrique artisanale qui met en profond partage des auteurs et un public. Ce qui est premier, c’est le public, et il faut aller le rencontrer là où il est, dans sa vie et son travail.

Pourquoi autant insister sur la pratique de la lecture à voix haute ?

R. R. : Le langage est toujours ce qui est le plus atteint pas les totalitarismes. Et aujourd’hui, il y a en France six millions d’analphabètes et 10% de la jeunesse incapables de déchiffrer. Cela rend vulnérable et manipulable. C’est pourquoi nous apportons les outils du langage dans notre petite forge, en reprenant avec humilité le chemin du déchiffrement de la lecture, en réhabituant les gens à l’écoute, à la parole. Depuis Condorcet, solidifiée par Ferry, remise en acte par le projet du Conseil National de la Résistance, la volonté d’éducation populaire s’est ensuite diluée dans les années consuméristes. Il s’agit de s’inscrire dans la fidélité à ce projet d’élévation populaire. Et pour cela, il ne s’agit pas seulement de vivre ensemble : il faut faire ensemble.

Propos recueillis par Catherine Robert

A propos de l'événement

Robin Renucci
Tréteaux de France.
153, avenue Jean-Lolive, 93500 Pantin

Tél. : 01 55 89 12 50. www.treteauxdefrance.com
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