Si ça va, bravo
Renaud Danner et Etienne Coquereau campent [...]
Guillaume Geoffroy, Eric Petitjean et Catherine Vinatier interprètent avec un époustouflant talent La Putain de l’Ohio, féroce parabole existentielle que Laurent Gutmann met en scène avec brio.
Hoyamer, vieux mendiant qui n’a plus rien à perdre que les quelques shekels qu’il cache au fond de ses godillots, décide de se payer une pute pour fêter ses soixante-dix ans. Après une âpre discussion avec Kokotska, gagneuse désabusée qui a renoncé à tout mais demeure intraitable sur le prix de la passe, il accepte de foutre au tarif syndical, mais perd ses moyens au moment du coït. Amortissement de l’investissement oblige, il offre à Hoyamal, son fils, mendiant comme lui, d’honorer la prostituée et l’engagement paternel… Sans la drôlerie irrésistible des répliques de Levin (remarquablement traduites en français par Laurence Sendrowicz) et l’éblouissant talent avec lequel Eric Petitjean et Catherine Vinatier installent les conditions de cette transaction improbable, on frémirait d’horreur devant tant de cynisme et de crudité ! D’autant que Laurent Gutmann n’enjolive rien, et donne tout à voir de la crasse physique et morale de ces misérables sordides. Mais le talent de l’auteur et celui du metteur en scène résident dans la transformation subtile du grotesque en sublime.
Mirages consolateurs
D’abord par la langue, à travers Hoyamer, rhéteur impitoyable et poète du déchet, aux allures de taon socratique. Ensuite par la scénographie, qui campe un décor non réaliste, dans lequel les personnages évoluent comme des figures métaphysiques, qui ne parviennent plus à aimer que dans leurs rêves. Naissent alors, par la force du verbe poétique, les lubies et les mirages consolateurs d’une vie meilleure. Pour Hoyamer, cette existence idyllique a les couleurs de l’Ohio et la forme de la plastique de ses putains, qui couchent gratis et offrent à leurs clients des plaisirs suaves comme la glace aux amandes… Guillaume Geoffroy, Eric Petitjean et Catherine Vinatier interprètent avec autant de respect que de force les personnages complexes inventés par Levin. Ils parviennent à maintenir l’équilibre entre la grossièreté prosaïque et le lyrisme du rêve, sans vulgarité ni mièvrerie ; ils sont toujours justes, émouvants et drôles. Laurent Gutmann et les siens réussissent là un travail à la tenue impeccable et à la force peu commune.
Catherine Robert
Renaud Danner et Etienne Coquereau campent [...]