La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

La passion corsetée

La passion corsetée - Critique sortie Théâtre
Légende : Laurence Février fait entendre la voix de La Princesse de Clèves avec une tenue et une maîtrise impeccables.

Publié le 10 décembre 2010

Laurence Février adapte, met en scène et interprète La Princesse de Clèves avec une rigueur et une pertinence exemplaires qui laissent pleinement s’épanouir la langue.

C’est avec une tenue impressionnante du corps et de la voix, et selon une diction parfaitement maîtrisée, que Laurence Février donne à entendre les tumultes de la passion amoureuse vécue si intensément par la Princesse de Clèves, son époux le Prince de Clèves et le Duc de Nemours. Ce qui frappe ici étant moins l’intensité extrême de cette passion que la façon extraordinaire dont les personnages – et singulièrement la jeune Princesse – s’y confrontent et l‘analysent. Le Prince aime passionnément son épouse, qui n’éprouve pour lui qu’une sorte de bonté. Mais elle aime sur le champ le Duc de Nemours, “chef-d’œuvre de la nature“, qui lui aussi ressent une inclination violente pour la jeune Princesse. L’adaptation et la mise en scène de Laurence Février se concentrent et se resserrent sur des extraits révélateurs, sur les relations triangulaires des personnages principaux, qui se débattent entre la puissance de l’amour, l’égarement, la fièvre, le trouble, l’affliction, la prise de conscience, l’aveu, le renoncement… Un véritable labyrinthe et une palette de sentiments incroyablement subtile que Laurence Février parvient à restituer avec finesse, illustrant bien ce paradoxe de la scène – qui n’en est pas un ! – consistant à donner à voir des sentiments extrêmes sans effusion, mais avec une rigueur constante. Pas besoin d’expressivité démonstrative : la langue magnifique se suffit à elle-même. Le sublime a des allures modestes et surtout pas tapageuses.

Elévation de l’âme

Le choix de dire cette langue en étant corsetée et tenue, avec une rigueur de tous les instants, la sert admirablement. De belles lumières, une longue robe rouge élégante, un jeu de dissimulations et de miroirs traduisent les méandres de l’amour et de l’esprit tourmenté. Le titre choisi par Laurence Février montre bien qu’ici l’élévation de l’âme et une conception de l’amour quasi sacrée caractérisent les personnages, pris aussi dans une dialectique sinueuse entre ce qui est montré et ce qui est ressenti, entre le vu et le vrai. Une dialectique d’autant plus vive dans une cour royale où les secrets s’entretiennent, où tout s’observe : un lieu agréable autant que dangereux pour les jeunes et belles personnes… La pièce est la preuve manifeste que ce texte n’a rien de démodé ou dépassé. Les personnages de La Princesse de Clèves « ne sont jamais médiocres. C’est une oeuvre qui tire les individus vers le haut » dit Laurence Février. Rien d’élitiste : au contraire, l’admiration de la comédienne et metteure en scène pour ce texte est tout simplement pendant le temps de la représentation partagée par le public. Jeunes et moins jeunes : allez-y. La Princesse de Madame de La Fayette fait ici entendre sa voix avec classe et une évidente pertinence.

Agnès Santi


La Passion corsetée, extraits adaptés de La Princesse de Clèves de Madame de La Fayette, mise en scène et interprétation Laurence Février, à partir du 3 novembre du mardi au samedi à 20h, dimanche à 15h, au Théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre Dame des Champs, 75006 Paris. Tél : 01 45 44 57 34. Durée : 1h05.

A propos de l'événement


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