30ème édition du Festival Don Quijote
Pour sa 30ème édition (2-15 décembre 2021), [...]
Le laboratoire artistique Mapa Teatro crée une traversée théâtrale transdisciplinaire, une fiction poétique chamarrée en jungle amazonienne qui s’élève contre la disparition programmée de l’existant.
Arpenteurs de nouvelles terres artistiques, défricheurs de songes mystérieux, le Mapa Teatro fabrique un théâtre transdisciplinaire, qui s’empare de problématiques sociales et politiques en pratiquant l’art du déplacement, d’existences rêvées par la fiction. Dans le sillage de leur cycle Anatomie de la violence en Colombie, violence marquée par le narcotrafic, le paramilitarisme et la guérilla, les suisso-colombiens Heidi et Rolf Abderhalden, frère et sœur, explorent une autre thématique brûlante d’actualité : la destruction de la forêt amazonienne, avec pour point de départ le désir d’en savoir plus sur un peuple autochtone qui depuis plus d’un siècle a fait le choix de s’isoler en Amazonie colombienne pour échapper à la violence colonisatrice. Éclairer ne signifie pas ici mettre en forme une enquête documentaire, la compagnie façonne plutôt une « ethno-fiction » qui interroge le regard sur l’autre et l’irruption dans l’inconnu, qui réinvente d’étonnants totems, des mythes partagés et rituels mystérieux. Avec ironie, l’isolement imposé par la pandémie a percuté le processus de création sur une tribu auto-isolée… Limpide et percutant, le propos introductif souligne la tension que signifient les deux côtés d’une frontière, l’un pour franchir et conquérir, l’autre pour être franchi et conquis. Par l’imposante et bruissante création vidéo, nous sommes immergés dans la jungle amazonienne, là où les palmiers marchent, où passent furtivement de splendides jaguars, où des flèches graciles fendent l’air.
Un conte d’une beauté singulière et envoûtante
Imprégnée d’éléments de réel, la fiction s’aventure de traversées en traversées. Suivant le rythme du récit, au son d’une musique souvent festive, le dispositif se renverse, joue d’effets de miroirs, dans une fluidité et une force dramatique teintée d’étrangeté qui n’élucide pas, qui n’explique pas, préférant la veine poétique comme résistance, en tissant des entrelacements et des parentés entre objets éloignés. Ici la lune est « remplie de pleurs anciens » causés par « les longs siècles de veille humaine », ici le jaguar peut prendre forme humaine, gardant une moustache drue et suscitant la méfiance. Ici encore l’expédition en 1969 de trois hommes – un contrebandier, un trafiquant de peaux d’animaux et un chercheur d’or – en pleine forêt pas si vierge conduit l’un d’eux à découvrir dans une maloca (cabane) des écrous. Ce qui nous emmène dans une échoppe à Bogota où un artisan orfèvre transforme les écrous en or (le film longuet de la fabrication pourrait être raccourci). Chacun sait que ce ne sont pas seulement le jaguar et les peuples indigènes qui sont aujourd’hui menacés de disparition… Ainsi ce qui se dégage de ce conte amazonien bigarré, c’est le désir fort de s’opposer à ce qui brise la continuité des cultures, de s’opposer à l’illusion de se croire seul, de préserver au contraire les infinis liens de parenté qui habitent le monde et ne connaissent eux pas de frontières. Un conte d’une beauté singulière.
Agnès Santi
à 20h. Tél : 01 42 7422 77. Spectacle vu au phénix à Valenciennes dans le cadre du Festival NEXT. Durée : 1h30.
Dans le cadre du Festival d’Automne 2021
Pour sa 30ème édition (2-15 décembre 2021), [...]