La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon / 2012 Entretien / Xavier Lemettre

La culture n’est pas un luxe !

La culture n’est pas un luxe ! - Critique sortie Avignon / 2012

Publié le 10 juillet 2012

À l’heure de coupes budgétaires qui fragilisent Banlieues Bleues, Xavier Lemettre, son directeur, analyse l’expérience de ce festival et l’implantation de la culture dans un territoire particulièrement frappé par la crise.

« La politique publique de la culture est bien là parce que la culture occupe une place centrale dans la vie de tous. »
 
Depuis trente ans, Banlieues Bleues s’est installé comme l’un des festivals de référence. Avez-vous bénéficié d’un constant soutien économique ?
Xavier Lemettre : Fondé à l’origine par une dizaine de villes de Seine-Saint-Denis, le festival s’est développé avec les financements du département et de l’Etat, notamment sur deux axes principaux : une partie  conséquente du budget est dédiée aux concerts et à la création artistique, une autre est allouée aux actions musicales. Ces deux missions ont assis le rayonnement de Banlieues Bleues. Depuis 2006, nous en avons une troisième, faire vivre le jazz à l’année avec notre implantation dans un lieu, La Dynamo de Banlieues Bleues, à Pantin. La région Ile-de-France est alors entrée dans le financement, au titre de la permanence artistique et de l’action culturelle, complétant les dotations du département, de la DRAC et des villes partenaires du festival. Cette avancée a permis une réévaluation du budget de l’association, regroupant le festival et la Dynamo, sans néanmoins avoir les moyens escomptés pour cette nouvelle mission. Il nous a fallu faire avec.
 
La réforme des collectivités territoriales, et la désignation de compétences obligatoires dont est exclue la culture, a-t-elle des conséquences directes sur votre activité ?
X. L. : En 2004, les lois Borloo avaient déjà eu pour conséquence de faire fondre les crédits politiques liés à la culture – la priorité étant la reconstruction des quartiers –, et ces crédits ont d’ailleurs encore continué à descendre… Depuis 2006, nos subventions principales de l’État, du département et de la région n’ont pas bougé, malgré l’inflation de 10 % sur la période. Pour tenir nos budgets et maintenir un certain niveau d’activités, il faut donc rogner sur les coûts de fonctionnement et le budget artistique : les équipes ont diminué, les salaires des artistes baissé. Et effectivement, la réforme des collectivités territoriales en cours n’a pas arrangé les choses. Au moment de son annonce, le Conseil général a affirmé qu’il ne pouvait plus faire face. Un moratoire a été décidé il y a deux ans par Claude Bartolone pour protéger la culture en Seine-Saint-Denis. Mais finalement cette année, le département réduit sa subvention à Banlieues Bleues : une première, qui va de pair avec le gel de l’État de 6 % du financement du spectacle vivant. Les conséquences sont immédiates : on ne peut pas boucler le budget 2012, à moins d’arrêter l’activité sur la Dynamo, ou de creuser un déficit pour l’an prochain…
 
On passe du discours à la réalité…
X. L. : La tendance actuelle est une réduction générale du soutien à la culture. Ce recul n’est pas juste préoccupant, mais alarmant pour tout le monde ! Si les structures réduisent, voire stoppent, l’activité, les artistes et le public seront touchés. C’est un jeu de dominos. On me demande de redéfinir le festival, avec une baisse de moyens.
 
Avez-vous songé à développer le mécénat privé ?
X. L. : Oui, nous le faisions déjà, sachant que nous mettons en œuvre d’abord du jazz de création en Seine-Saint-Denis. Mais nous ne serons jamais une opération de prestige. Nous assurons des missions de service public et les partenariats privés que nous mettons en place concernent en général des événements ponctuels, hormis la fondation Orange qui nous a soutenus pendant huit ans. Le mécénat privé n’est pas prêt à pérenniser notre activité…
 
Sur ce territoire particulièrement en crise, pouvez-vous mesurer votre apport à ces populations délaissées ?
X. L. : Même si nous amenons des objets artistiques parfois exigeants, les publics nous ont suivis. Nous avons mis en place une politique tarifaire adaptée. Et la réponse la plus spectaculaire reste les actions musicales qui permettent la rencontre entre les artistes et les populations locales, comme ces milliers de collégiens, lycéens, jeunes et moins jeunes travaillant chaque année avec les artistes du festival. Depuis tant d’années d’aventures, artistiques et humaines, et de belles énergies drainées, les élus locaux ont pu constater notre enracinement dans le territoire. Ce sont de patientes constructions qui donnent tout son sens au festival. Les habitants sont vraiment impliqués.
 
La culture a donc des vertus pour des populations particulièrement exposées à la crise…
X. L. : Nous avons pu mesurer les résultats sur des adolescents, mais aussi des adultes : l’écoute des autres et la valorisation de soi, mais aussi la cohésion sociale, la notion de travail collectif et la rencontre avec des artistes, des univers différents, d’autres horizons… Autant d’effets positifs dont les professeurs témoignent. C’est vraiment du concret : comme par exemple lorsque nous avons travaillé avec un musicien de Chicago et les gamins de Clichy-sous-Bois, moins d’un an avant les émeutes. Ils étaient tellement fiers d’avoir fait un superbe concert au bout de cet atelier. Cela avait permis de renverser les échelles de valeur, y compris en classe… Les équipes pédagogiques ne cessent de le dire : cette ouverture sur le monde est extrêmement bénéfique.
 
En temps de crise, la culture fait souvent les frais au motif d’être superflue…
X. L. : La politique publique de la culture est bien là parce que la culture occupe une place centrale dans la vie de tous. Et ce même si on veut nous faire croire que c’est un luxe. C’est tout le contraire. Tout le monde sait bien que la culture est une manière de sortir de la crise. C’est très important, en France notamment. C’est entré dans l’ADN des gens : un concert peut changer la vision du monde de celui qui y assiste. Ce n’est certes pas la solution la plus visible, mais la culture pour tous permet de lutter contre les exclusions. Le discours actuel est de faire croire que la culture n’est pas si mal dotée. Hors elle paie depuis des années, comme d’autres services publics, au bord de la rupture.
 
Pourrait-on imaginer une disparition de Banlieues Bleues ?
X. L. : On est dans un monde où on peut tout imaginer. La question est plus générale. Qu’est-ce que le service public de la culture appliqué dans des territoires comme la banlieue aujourd’hui, le « Grand Paris » demain ? Et tous les publics peuvent-ils y avoir accès ? Banlieues Bleues a un rôle structurant en amenant de nouveaux publics et en permettant à de jeunes musiciens de créer. Tout le secteur profite de cet oxygène. Si on coupe ce relais de génération, l’affaire est close. 
 
Propos recueillis par Jacques Denis

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