La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon / 2011 Entretien / Jacques Toubon

« La culture est un bien public »

« La culture est un bien public » - Critique sortie Avignon / 2011
Crédit : Christelle Viviant

Publié le 10 juillet 2011

Ministre de la Culture et de la Francophonie de 1993 à 1995 dans le gouvernement d’Edouard Balladur, après les dix années de l’ère Jack Lang, Jacques Toubon analyse les axes de son action. Aujourd’hui membre de la commission Zelnik, chargée de faire des propositions pour améliorer l’offre légale de la création sur internet, il examine les incidences de ces mutations sur la politique culturelle.

Comment définiriez-vous, rétrospectivement, votre « philosophie » d’action en tant que ministre de la Culture et de la Communication ?
Jacques Toubon : Mon action s’est attachée à combler des lacunes de la politique précédente, tout en assurant une continuité. Jack Lang avait lancé beaucoup d’initiatives, souvent bien perçues dans l’opinion publique, mais certains fondements avaient été négligés. Ainsi, j’ai rénové plusieurs institutions culturelles, et notamment modernisé les statuts de la Comédie-Française et de l’Opéra national de Paris, stabilisé la Bibliothèque nationale de France, et j’ai mené une déconcentration et initié des grands travaux en régions afin de rééquilibrer l’aménagement du territoire. Je me suis démarqué du ministère précédent sur la politique internationale, qui est devenue un dossier prioritaire. Dès juillet 1993 en effet, j’ai milité lors des négociations du GATT pour défendre l’« exception culturelle ». Somme toute, la période 1993-1995 n’a pas traduit une rupture, tout simplement parce qu’aujourd’hui en France, il n’existe pas véritablement une politique culturelle de droite et une de gauche. Il y a des hommes et des femmes qui ont des engagements politiques, citoyens, et qui exercent des responsabilités dans le secteur culturel.
 
« L’implication des pouvoirs publics dans l’art et la culture, à tous les échelons territoriaux, est considérée comme normale et même nécessaire. »
 
Pourquoi la culture échappe-t-elle à ce clivage droite gauche ?
J. T. : Parce qu’elle est un bien public. C’est une spécificité française. L’implication des pouvoirs publics dans l’art et la culture, à tous les échelons territoriaux, est considérée comme normale et même nécessaire. Je vois bien, dans les discussions au sein de la Communauté européenne que je mène pour diminuer le taux de TVA sur les produits culturels vendus en ligne, combien notre conception est singulière en Europe. La culture étant une cause nationale, elle n’est plus de droite ou de gauche. Néanmoins, un clivage a surgi concernant la réponse à apporter au téléchargement illégal des œuvres sur internet et les dispositions de la loi dite « Hadopi ». La droite, et je partage cette position, préconise une riposte graduée contre les pirates qui vise à protéger l’application du droit d’auteur, moral et patrimonial, les revenus des producteurs et diffuseurs, tandis que la gauche propose une « licence globale » permettant les téléchargements en contrepartie d’une rétribution forfaitaire ensuite redistribuée. A mon sens, cette deuxième solution porte atteinte au droit de propriété intellectuelle, et donc au financement de la culture et de la diversité.
 
De profondes mutations, et en particulier l’essor des technologies numériques et la croissance des industries culturelles, ont modifié les conditions d’accessibilité à l’art et à la culture. L’outil Internet favorise-t-il la démocratisation, un des enjeux majeurs de la politique culturelle, hier comme aujourd’hui ?
J. T. : Le développement des services de vente en ligne élargit indéniablement la diffusion des œuvres en particulier pour la musique, les livres ou les films. Cette évolution contribue donc à l’ambition de Malraux de « donner accès aux grandes œuvres de l’esprit au plus grand nombre », à condition qu’elle ne détruise pas la chaîne de la valeur. Aujourd’hui, les moteurs de recherche, constructeurs informatiques, fournisseurs d’accès, opérateurs de réseau et autres intervenants du système captent l’essentiel des revenus générés par internet, notamment publicitaires, grâce à des contenus qu’ils ne conçoivent pas eux-mêmes et donc ne financent pas. La source va finir par se tarir ! Il faut trouver un modèle économique viable pour tous les acteurs, sinon la création va disparaître faute de créateurs.
 
La montée des industries culturelles et la diffusion par l’Internet brouillent les frontières entre l’art et le divertissement. Par ailleurs, on observe une concentration croissante des ventes. Par exemple, en musique, 3 % des titres représentent 75 % des recettes. Comment dans ce contexte voyez-vous le rôle de la politique culturelle ?
J. T. : L’Internet favorise l’expression du goût du consommateur et le phénomène de concentration, ce qui justifie d’autant plus l’intervention publique. La réponse passe par une politique des quotas, tout comme dans les années 80 quand les radios libres se sont multipliées. De même, le modèle du mécanisme de soutien mutualisé mis en place pour le cinéma pourrait être étendu à d’autres secteurs, notamment la musique. Les recettes prélevées sur la diffusion par l’Internet seraient alors redistribuées en fonction de priorités de politique culturelle.
 
Entretien réalisé par Gwénola David

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