La Compagnie Ruzaro met en scène « Le Bonheur conjugal selon Tchekhov » dans une veine classique
Théâtre Douze / Texte d’Anton Tchekhov / Mise en scène collective de la Compagnie Ruzaro
Publié le 19 novembre 2024 - N° 327La compagnie monte trois des pièces en un acte de Tchekhov. Répertoire plutôt méconnu du dramaturge russe, ces « farces » traitent de petites scènes du quotidien de propriétaires terriens, tourmentés par les jeux de l’amour. Une mise en scène qui a le mérite de mettre en avant le jeu de ses acteurs, sans pour autant les faire entrer dans la folle énergie du vaudeville.
Assis à sa table, un homme pensif écrit sur un petit bureau, éclairé par les reflets d’une chandelle artificielle. Vite, quand le noir se fait, il vient se présenter au public. Il s’appelle Anton Tchekhov et commence à dérouler son long CV. Bientôt, il nous invite à plonger dans la première pièce de ce triptyque théâtral : La Demande en mariage. Demande chaotique puisque interrompue de malaises vagaux et d’invectives lancées à la volée entre la mère de la promise (Claudine Boucet) et le futur gendre (Clément Zanoly). Vont s’ensuivre Les Méfaits du tabac, un monologue satirique (exécuté par Philippe Minvielle) qui parle plus des déboires conjugaux d’un mari terrorisé par sa femme que de propos scientifiques ; puis L’Ours, un conflit pécuniaire aux accents moliéresques, allant d’une demande en duel incongrue entre la veuve Éléna Ivanovna (Florence Bouniq Mercier) et le colérique Grigori Stépanovitch (Philippe Minvielle) à une demande en mariage. Au milieu de la cacophonie, des litrons d’injures et des évanouissements ; dans les interstices de ces trois comédies, le fantôme de Tchekhov revient énumérer ses succès au théâtre, ses défaites en amour. Dans une tonalité presque scolaire, le texte de Danielle Mathieu-Bouillon déroule la biographie du dramaturge, en s’inspirant de sa correspondance. Des interruptions qui dégonflent la blague, au profit d’un caractère plus didactique.
Un texte intense et incisif
L’écriture est incisive, légère et cocasse. Elle nécessite du corps, de l’engagement physique, comme l’a montré Meyerhold. Ce dernier composa avec La Fête de la banque, L’Ours et La Demande en mariage une partition engageante et rythmée, qu’il intitula Trente-trois évanouissements. Théoricien de la biomécanique, Meyerhold mettait en lumière la grande force physique de ces « plaisanteries ». Ici, l’explosivité du jeu jaillit par étincelles mais s’éteint rapidement, comme mouchée. L’énergie retombe et se noie dans de grandes lampées de vodka. Pourtant, par moments, les acteurs s’emparent des mots de Tchekhov avec sincérité. Nioukhine (Philippe Minvielle) presque à la fin des Méfaits du tabac, vient s’asseoir sur le bord du plateau et les yeux perdus dans le vague, il rêve de s’enfuir, « comme un arbre, comme une borne, comme un épouvantail à moineaux, sous un vaste ciel… toute la nuit, regarder la lune silencieuse et claire, et oublier, oublier… ». Un moment poignant qui nous rappelle la sensibilité et la beauté des personnages de Tchekhov. De même, il faut souligner le caractère fondamentalement drôle et comique de Claudine Boucet, qui sait rester fidèle à l’esprit farceur des valets et confidents. Toutefois, la scénographie, telle une carte postale de ce que devrait être une mise en scène classique (divan rouge, patère et petits guéridons), n’aide pas à faire décoller le rythme. La promesse d’une comédie légère se retrouve plombée par une dramaturgie peu enlevée, et aussi terre à terre que les moujiks qui peuplent les œuvres de Tchekhov.
Amandine Cabon
A propos de l'événement
Le Bonheur conjugal selon Tchekhovdu jeudi 14 novembre 2024 au dimanche 24 novembre 2024
Théâtre 12
6 avenue Maurice Ravel, 75012 Paris
du jeudi au samedi à 20h30, dimanche à 15h30. Tél. : 01 44 75 60 32. Durée : 1h20.