Julie Duclos met en scène Kliniken de Lars Noren : une peinture tremblée des maux de notre société
Odéon Théâtre de l’Europe
Publié le 25 avril 2022 - N° 299Fresque d’une journée ordinaire dans une institution psychiatrique, Kliniken de Lars Noren déploie, dans la mise en scène de Julie Duclos, la peinture tremblée des maux de notre société.
Au début, il y a en avant-scène un jeune homme debout, immobile, à la fixité étrange, inquiétante. Il regarde du coin de l’œil un écran télé qui semble diffuser une émission d’aérobic. Un autre en charentaises à la diction traînante, sans doute ralentie par trop de calmants, échange avec un infirmier, pense-t-on, sans blouse, presque moqueur avec les patients. Familiarité ? Cruauté ? Un autre homme semble plus normal, dans ce qui constitue les repères habituels. Habits, parole. Il a même travaillé à New-York dans une agence de pub. Il a une femme et deux enfants. Kliniken de Lars Noren, ce n’est pas Vol au-dessus d’un nid de coucou mais plutôt Contes de la folie ordinaire. Les personnages imaginés par Lars Noren, qui fut lui-même interné à l’âge de 18 ans, ont basculé d’un autre côté, qui est là, tout proche, à portée de main de chacun et chacune d’entre nous. Leurs souffrances et leurs névroses se dessinent à travers des échanges d’une grande banalité. Avec raison, Julie Duclos évoque Tchekhov. Dans Kliniken, on se parle mais chacun poursuit ses propres obsessions, comme le montrent ces trajectoires solitaires qui traversent la salle et les couloirs tout au long de la pièce. Il ne se passe pas grand-chose. Le temps est suspendu, comme arrêté. Seulement rythmé par les lumières et les orages qui passent sur le petit jardin arboré où les patients viennent s’isoler derrière la vitre. Kliniken, c’est une journée comme une autre dans une institution psychiatrique où l’accompagnement médical brille par son absence. Médicamentés, désœuvrés, les patients s’accrochent au passé, à leurs liens avec l’extérieur. Et leurs maladies sont celles que produisent notre société.
Un nuage de fumée
Filles abusées, réfugié traumatisé par la guerre, dépressif, anorexique, schizophrène… les onze patients de cette clinique imaginée par Lars Noren en 1993 évoluent dans une société contemporaine via un léger et pertinent travail d’actualisation de Julie Duclos. Salon télé et salle fumeur se côtoient au plateau sans se parler. Les dialogues entre patients se suivent, se superposent parfois, se font écho. Une écriture telle une partition, comme on a l’habitude de dire. On y devine les événements qui les ont menés ici mais surtout dans un nuage de fumée de cigarettes les mirages de solidité sur laquelle nos vies croient se fonder. La ribambelle de jeunes interprètes issus de l’école du Théâtre du Nord, du Théâtre National de Bretagne et du Théâtre National de Strasbourg cohabite avec de tout aussi brillants aînés. Tous les interprètes donnent à leurs personnages la plus grande vraisemblance, les tiennent ensemble dans la maladie et dans une grande normalité. Aux murs, des images filmées en direct ouvrent un angle, un regard différent, comme les faces cachées de toute personnalité. Du dehors absent, ne parviennent qu’un soignant de temps en temps, des coups de fil et, en flux continu, les images de la télé qui aimantent les regards. Ici, comme de l’autre côté, les liens manquent. La communication. Le soin. C’est une société où l’on ne fait plus que cohabiter. Jusqu’à quand ?
Eric Demey
A propos de l'événement
Klinikendu mardi 10 mai 2022 au jeudi 26 mai 2022
Odéon-Théâtre de l’Europe
Place de l’Odéon, 75006 Paris
à 20h, le dimanche à 15h, relâche le lundi. Durée : 2h30. Spectacle vu aux Célestins à Lyon.