La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

King

King - Critique sortie Théâtre
Crédit photo : Pierre-Étienne Vilbert Légende photo : Les trois visages de King C. Gillette, entrepreneur capitaliste et utopiste fouriériste

Publié le 10 avril 2009

Arnaud Meunier met en scène l’épopée de Gillette, inventeur du rasoir à lame jetable. Rasant…

King C. Gillette. Un destin taillé aux cotes du rêve américain. Gravé en initiales au fronton exemplaire du capitalisme industriel triomphant et joliment tatoué en portraits sur des paquets de fines lames. Fils d’une famille ruinée lors du grand incendie de Chicago en 1871, voyageur de commerce et habile héraut de la Crown Cork and Seal Company, l’intrépide entrepreneur eut un beau jour de 1895 la géniale idée du rasoir à lames jetables. « Trouvez quelque chose qui aussitôt après un premier usage se jette » lui disait son patron, qui fabriquait des capsules de bouteilles. Il batailla dix ans pour transformer l’invention en fortune et répandre à travers le monde la révolution de cet ingénieux ustensile, dûment breveté. Tour à tour industriel, rentier millionnaire, planteur de pamplemousse, investisseur immobilier, avant d’être évincé de son empire puis rincé par la crise de 1929, le roi du rasage fut aussi secret rêveur, fabriquant d’une utopie fouriériste qu’il échafauda dans Le Courant humain (1874), dans La Société du monde (1910) puis La Société du peuple (1924), écrit avec l’activiste Upton Sinclair. Maniant les procédés du capitalisme, il imaginait une firme universelle détenue par un peuple devenu petit actionnaire, qui peu à peu absorberait la concurrence, perfide agent de tous les maux. Curieuse fiction d’un bonheur obligatoire, d’un bien-être seulement matériel…
 
Une didactique leçon de choses
 
Répondant en 1997 à une commande d’Alain Françon, Michel Vinaver fouille donc l’histoire de King Gillette, le fondateur de la multinationale qui, 27 ans durant, l’employa et lui assura sa double vie d’auteur (Michel alias Grinberg de son vrai nom fut PDG de Gilette France). La pièce pourtant se soustrait à la biographie et creuse l’énigme d’un être scindé entre l’engagement utopique et l’entreprise capitaliste. Composée en 74 fragments, elle éclate le personnage en trois « King », saisis à trois âges de la vie, et ponctue l’entrelacs des paroles de trios, qui décrivent l’effondrement programmé du système et bâtissent les plans millimétrés de la cité idéale. Drôle de juxtapositions… Hélas, la mise en scène reste au ras du texte et se perd dans la démonstration, lorsque le sens devrait jaillir dans le frottement contradictoire des discours, dans l’intervalle des mots qui dit toute l’ambivalence, le mystère de deux ambitions nouées au cœur d’un seul homme. Cheveux lustrés à la brillantine, complets gris, moustaches et mines de circonstance, les comédiens besognent la partition au premier degré dans une scénographie abstraite au formalisme des plus convenus. L’ironie tourne ici à la mitraille de slogans poussifs, tandis que l’épopée piétine en boucle. Le metteur en scène Arnaud Meunier, décidément plus à son aise dans les petites formes, se piège peut-être dans ses bonnes intentions et son engagement militant, louable au demeurant, attisé par la banqueroute actuelle. Imaginer un autre monde possible appelle de l’invention, à commencer dans son art.
 
Gwénola David


King, de Michel Vinaver, mise en scène d’Arnaud Meunier, en tournée du 2 au 4 avril 2009, au Forum, Scène conventionnée de Blanc-Mesnil,tél : 01 48 14 22 00, le 9 avril 2009, aux A.T.P. d’Avignon / Salle Benoît XII, le 15 avril 2009, au Théâtre d’Orléans, Carré Saint-Vincent (Association ATAO), tél : 02 38 62 45 68. Spectacle vu à La Commune d’Aubervilliers. Durée : 2h30. Texte publié aux éditions Actes-Sud.

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