La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Jouer avec Nicomède

Jouer avec Nicomède - Critique sortie Théâtre
Légende : Brigitte Jaques-Wajeman convie le public autour de la table des débats

Publié le 10 février 2008

Fine lectrice de Corneille, Brigitte Jaques-Wajeman s’empare de cette pièce politique avec une troupe qui libère une juste énergie.

Curieuse marqueterie de genres littéraires que Nicomède… Tragédie raillée de traits grotesques, intrigue politique brodée sur les annales de histoire romaine, commerce machiavélique des cœurs tout autant qu’intrépide éloge de la résistance à l’impérialisme et comédie des compromissions diplomatiques : l’œuvre cache bien des fantaisies sous le costume sobre des vers classiques. « Voici une pièce d’une constitution assez extraordinaire » prévenait d’ailleurs Corneille dans la préface de la première édition, parue en 1651. « Ce héros de ma façon sort un peu des règles de la tragédie, en ce qu’il ne cherche point à faire pitié par l’excès de ses infortunes : mais le succès a montré que la fermeté des grands cœurs, qui n’excite que de l’admiration dans l’âme du spectateur, est quelquefois aussi agréable que la compassion que notre art nous ordonne d’y produire par la représentation de leurs malheurs. » poursuivait-il dans son Examen. Valeureux guerrier déjouant complots et pièges, Nicomède échappe en effet à l’effigie du héros tragique : ironique orgueilleux, téméraire insurgé face à l’occupant romain, cet idéal de vertu démasque les ruses et les séductions du pouvoir pour le triomphe de la justice.
 
Un festin de mots
 
Après La Mort de Pompée, Sophonisbe, Sertorius et Suréna, qui taillent différentes facettes de l’expansionnisme romain, Brigitte Jaques-Wajeman parachève donc un cycle avec Nicomède. Fine lectrice de Corneille, elle a bien raison de « Jouer avec Nicomède », pour libérer la verve cinglante et les facéties stylistiques des lourdes parures du grand style. Plutôt que de dresser l’alexandrin sur l’estrade poussiéreuse d’une démonstration savante, elle rassemble les spectateurs autour d’une vaste table de banquet, comme pour inviter l’assemblée à ce festin de mots où chaque réplique attaque, ou esquive fait mouche. On peut certes se sentir saturé par la densité de l’écheveau politique, dérouté également par les costumes, qui évoqueraient l’Italie des années fascistes, par le flou de la ligne dramaturgique et les effets surlignés. On se laisse pourtant gagner par la juste énergie et de la troupe. Bertrand Suarez-Pazos (Nicomède) et Raphaèle Bouchard (Laodice) opposent leur arrogance juvénile aux mascarades d’un trône de pacotille (Pierre-Stéfan Montagnier (Prusias), Sophie Daull (Arsinoé)), tandis que Pascal Bekkar (Flaminius) joue l’ambassadeur diabolique. Marc Siemiatycki (Araspe) et Agnès Proust (Cléone) font d’inquiétants seconds et Thibault Perrenoud (Attale) révèle une âme magnanime. Entre tragédie et bouffonnerie, mensonges et convoitises, passion et raison, ce théâtre de la politique montre que justice et générosité peuvent tout de même l’emporter…
 
Gwénola David


Jouer avec Nicomède, d’après Corneille, mise en scène Brigitte Jaques-Wajeman, jusqu’au 17 février 2008, à 20h, sauf dimanche 16h30, relâche lundi, au Théâtre de la Tempête, La Cartoucherie, Route du Champ de manœuvre, 75012 Paris. Rens. 01 43 28 36 36 et www.la-tempete.fr. Puis à la Comédie de Reims du 13 au 21 mars 2008. Rens. 03 26 48 49 00. Durée : 2h15.

A propos de l'événement


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