Romeo et Juliette
Qui trop embrasse mal étreint. A force de [...]
Une maison de famille dans le bocage normand, un week-end de début d’été, et neuf personnages d’aujourd’hui réunis au hasard. Joël Dragutin réfléchit en riant sur les conditions du vivre ensemble.
Rousseau en posait les principes dans Du Contrat social : pour qu’un homme exclusivement limité à son intérêt propre devienne un citoyen soucieux du bien public, il faut qu’il mette « en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale », en échange de quoi chaque membre est reçu « comme partie indivisible du tout ». Encore faut-il que chacun trouve intérêt à vivre avec les autres, autrement dit que tous aient un projet commun. La pièce de Joël Dragutin illustre, en parabole espiègle, les affres de la communauté. Il montre qu’un agrégat hasardeux ne suffit pas pour faire une société, surtout si cet agrégat est composé d’êtres atomisés, uniquement reliés par l’amitié virtuelle, illusion de l’ultra moderne solitude. La modernité communique, mais ne communie plus (sauf, peut-être, le dimanche matin, à l’église, pour le couple de dadais catholiques de la bande réunie dans la pièce) : obnubilés par leurs intérêts particuliers, les citoyens ont perdu le sens du commun !
Crise politique et crise de rire
Denis a hérité d’une vieille tante une grande maison en Normandie. Il y invite, via Facebook, plusieurs de ses connaissances : Clémence et Alexandre, les cousins cathos coincés, Florian, prof de collège sentimental et neurasthénique, Riccardo, fan de jeux vidéos, Mathilde, agent immobilier à la quarantaine rugissante, Vieira, mystérieuse vamp au bord de la crise de nerfs, Léonard, geek cynique, et Georges, vieux bobo socialo-pontifiant. Tous ont des idées pour répondre à la question de Denis : comment faire œuvre commune de cette maison au milieu du bocage ? Mais chacun formule la sienne en fonction de son intérêt particulier. Force est d’admettre, en fin de week-end, l’échec du projet : le collectif est moribond et l’intérêt général est défunt. Joël Dragutin ausculte au scalpel les travers de ses contemporains. Incisif et drôle, il ironise sur les défauts de chacun, composant une typologie des individus modernes, scotchés à leurs prothèses électroniques et incapables de dépasser leurs égoïsmes misérables. Un bémol à la clef : la partition est interprétée en force par les comédiens. Les acteurs gagneraient sans doute à mieux s’écouter, même si leurs personnages ne peuvent s’entendre. Reste néanmoins la drôlerie du texte et celle du décor de Nicolas Simonin, qui, des canards en fond de scène aux canevas accrochés aux murs, offre de plaisantes occasions de sourire. Joël Dragutin a l’immense mérite d’offrir à la crise politique la seule modalité qui lui reste : celle de la crise de rire.
Catherine Robert
Qui trop embrasse mal étreint. A force de [...]