La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Jean-Pierre Baro

Jean-Pierre Baro - Critique sortie Théâtre
Crédit : Nicolas Brossette

Publié le 10 janvier 2011 - N° 184

Ivanov : Un témoignage et une ode à la vie

Le jeune metteur en scène Jean-Pierre Baro — fondateur de la compagnie Extime — crée une « composition théâtrale » à partir d’Ivanov de Tchekhov. Une composition pour huit interprètes conçue comme une proposition visuelle, sonore, physique…

Qu’est-ce qui, de votre point de vue, est essentiel dans le théâtre d’Anton Tchekhov ?
Jean-Pierre Baro : S’il y a une évidence avec Tchekhov, c’est qu’il ne construit pas une pensée dans ses pièces. Il s’agit plus d’une observation de la vie, des hommes en train de vivre et, en ce sens, on pourrait dire que chaque personnage contient son propre parti pris. Tchekhov est un témoin de la vie. Je voudrais donc que ma mise en scène soit également un témoignage et une ode à la vie.
 
Pourquoi avoir fait le choix d’Ivanov, parmi toutes les pièces de l’auteur russe ?
J.-P. B. : Il y a toujours, à la base de mon désir de monter une pièce, une idée de reconnaissance. J’estime que si je me reconnais dedans, les autres vont pouvoir s’y reconnaître également. Je prends des textes littéraires avec, en général, des termes assez philosophiques, pratiques, des termes de vie. En l’occurrence, pour  Ivanov, quelqu’un n’arrive pas à composer avec ce qui l’entoure et, donc, se décompose. Il a trente ans, il se pose des questions sur sa vie, il n’arrive pas à faire de choix, il tombe dans une espèce de dépression, c’est-à-dire dans une incapacité à agir. Deleuze cite dans L’Abécédaire une phrase d’Artaud qui dit « J’écris pour les fous ». Il ne veut pas dire qu’Artaud écrit pour des lecteurs fous, mais « à la place de ». C’est ça la reconnaissance. Je lis Ivanov et je me dis « il dit mieux que moi ce que je pense », il dit à ma place quelque chose que je sais déjà, que j’ai envie de dire mais que je n’arrive pas à formuler. Pour moi, les gens ne viennent pas au théâtre pour voir des acteurs jouer, mais pour se voir eux-mêmes à travers les interprètes. Le public est le personnage central d’Ivanov. Le théâtre de Tchekhov est un théâtre de reconnaissance, dans cet écart, il n’y a plus de différence entre le regardant et le regardé.
 
Quels sont, pour vous, les éléments de cette « reconnaissance » ?
J.-P. B. : Ivanov est un texte qui évoque des questions qui m’obsèdent : la liberté, le rapport aux morts et aux fantômes…
 
« Comment s’affranchir d’un déterminisme social et développer son propre temps à l’intérieur du temps ? Voilà, je crois, une chose que le théâtre nous offre. »
 
Comment parle-t-on aux gens qui ne sont plus là, mais qui malgré tout nous accompagnent bien après leur mort ? Comment sortir de son enfermement physique, géographique et social ? Comment ne pas devenir le fantôme de sa propre existence lorsque la vie est devant soi ? Ivanov est un homme qui ne reconnaît plus sa vie et qui décide de la transformer, un homme en mutation. Ivanov dit : je suis à inventer et j’en fais maintenant l’expérience. La question que pose la pièceest finalement assez simple : comment ne pas rater sa vie ? Quelle violence est nécessaire pour s’extraire d’une vie insatisfaisante, pour recomposer avec soi et le monde ? Il me semble que la liberté passe par le refus de s’enfermer et le courage de s’extraire. Il y a une violence dans le fait même d’acquérir la liberté, cette violence n’est pas tant différente de la violence du monde. Comment s’affranchir d’un déterminisme social et développer son propre temps à l’intérieur du temps ? Voilà, je crois, une chose que le théâtre nous offre.
 
Vous définissez votre spectacle comme une composition théâtrale. De quoi se compose cette composition ?
J.-P. B. : Nous avons « hybridé » différents matériaux. D’abord, les différentes traductions de la pièce — principalement celle de Françoise Morvan et André Markowicz — mais également d’autres textes poétiques et autobiographiques (La Correspondance d’Anton Tchekhov, Tchekhov d’Henri Troyat, Vivre est autre chose de Guy Goffette), ainsi que des films (Le Sacrifice d’Andrei Tarkovski, Scènes de la vie Conjugale d’Ingmar Bergman, Partition inachevée pour piano mécanique de Nikita Mikhalkov, Urgences de Raymond Depardon). Nous nous sommes inspirés de ces œuvres cinématographiques pour réaliser un travail chorégraphique brut. C’est à partir de tous ces éléments que nous avons réalisé notre adaptation théâtrale. Ivanov [Ce qui reste dans vie…] est une composition théâtrale, c’est-à-dire, autant une mise en scène de la pièce de Tchekhov, qu’une approche visuelle, sonore, physique, procédant du mélange des matériaux utilisés lors des répétitions.
 
Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat


Ivanov [Ce qui reste dans vie…], d’après Ivanov d’Anton Tchekhov ; mise en scène de Jean-Pierre Baro. Du 25 janvier au 13 février 2011. Du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 16h. Le Montfort Théâtre, Parc Georges-Brassens, 106, rue Brancion, 75015 Paris. Réservations au 01 56 08 33 88.

A propos de l'événement


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