La Chute
Après Avignon cet été, Ivan Morane présente [...]
Bruno Abraham-Kremer interprète les textes extraits de l’œuvre et de la correspondance de Tchekhov, dont il a agencé le tuilage avec Corine Juresco. Un spectacle beau et touchant, humain, profondément humain.
On a parfois l’impression que l’âme russe, en ses excès, ne peut exprimer ses affects et ses idées autrement que par l’usage des adverbes d’intensité. « J’ai terriblement envie de vivre », dit Platonov au moment de mourir, parce que la vie est terrible et terrifiante et que seul le terrorisant néant est à son échelle. Rien n’est à demi, rien n’est à moitié, et tout est aux dimensions immenses de la steppe. La faconde bonhomme avec laquelle Bruno Abraham-Kremer pénètre sur scène pourrait laisser penser que l’homme raisonnable et plein d’humour dont il égrène les souvenirs sera plus mesuré. Mais sous la surface, bouillonne le feu d’un cœur qui s’insurge. Derrière l’apparente légèreté des premières courtes nouvelles envoyées aux journaux, palpite déjà la fièvre d’une œuvre qui restera comme un des phares du théâtre mondial. Tchekhov, homme tout en paradoxe : marié à la médecine et amant de la littérature ; fervent admirateur du manteau de neige tombé sur les arbres, mais follement épris du soleil qui retarde la victoire de la tuberculose ; capable d’aller jusqu’à l’enfer du bagne de Sakhaline et trouvant encore à Nice la force de soutenir les dreyfusards ; auteur de comédies, jouées par Stanislavski et les siens comme des tragédies.
L’œuvre et la vie
Bruno Abraham-Kremer interprète cet homme doux et indigné, sincère et drôle, aussi généreux que discret, soignant les malades pour rien, mourant, une coupe de champagne à la main. Avec une authenticité poignante, une élégance rare, une souplesse féline dans le jeu et un art consommé de la variabilité de l’adresse, le comédien dit les lettres à la famille, aux éditeurs, aux amis, aux amantes, et interprète des extraits de ce théâtre qui, parce qu’il est comme la vie, se fond dans la continuité de son récit. Le très beau travail de Philippe Marioge et d’Arno Veyrat crée un univers de projections poétiques et suggestives, qui soutient le texte et scande ses étapes. Bruno Abraham-Kremer est à la fois récitant et personnage, passeur et incarnation, comédien admirateur de ce maître et le maître lui-même, toujours étonné de sa propre gloire. Terriblement humain, formidablement humain, merveilleusement humain ; vivant, parce qu’il le faut, heureux, parce qu’on le doit aux autres : ainsi allait Tchekhov, ainsi va Bruno Abraham-Kremer.
Catherine Robert
Du mardi au vendredi à 21h ; le samedi à 16h et 21h. Tél. : 01 42 08 00 32. Durée : 1h40.
Après Avignon cet été, Ivan Morane présente [...]