La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Iphigénie de Jean Racine, mise en scène et scènographie de Stéphane Braunschweig

Iphigénie de Jean Racine, mise en scène et scènographie de Stéphane Braunschweig - Critique sortie Théâtre Paris ATELIERS BERTHIER
Le metteur en scène Stéphane Braunschweig Crédit : Carole Bellaïche

Iphigénie / de Jean Racine / mes et scénographie Stéphane Braunschweig

Publié le 13 juillet 2020 - N° 286

Alors que les Grecs s’apprêtent à franchir la mer pour aller écraser l’insolence troyenne, le monde s’arrête, faute de vent. Stéphane Braunschweig répète à notre époque la question que pose Racine : que sacrifier pour que les affaires reprennent ?

Pourquoi Iphigénie ?

Stéphane Braunschweig : Avant la crise sanitaire, j’avais décidé de monter Comme tu me veux de Pirandello au mois de janvier. Mais pour la rentrée, avec le manque total complet de visibilité, il nous fallait repenser la programmation de l’Odéon. Nous avons alors imaginé un projet qui puisse s’adapter à l’évolution des conditions sanitaires et soit pertinent pour le moment présent. Iphigénie s’est alors imposée à moi parce que c’est une pièce qui résonne métaphoriquement avec ce que nous venons de vivre. L’armée grecque est à Aulis, prête à partir écraser Troie, mais soudain, plus une once de vent… La flotte réunie par Agamemnon est bloquée au port. Les puissants, c’est-à-dire les Grecs, sont, d’un coup, réduits à l’impuissance. Leur volonté de conquête, leur désir d’empire, leur soif de domination, leur appétit de gloire, leurs rêves de puissance guerrière, économique, politique et symbolique : tout est arrêté. Avant le confinement, nous vivions avec l’idée que la course au profit ne pouvait être stoppée, pas même pour sauvegarder la planète, et pourtant, d’un coup également, nous l’avons vue arrêtée. Pendant un temps, l’impératif sanitaire a pris le pas sur l’impératif économique. Et puis, c’est reparti dans l’autre sens… C’est le même type de mouvement de balancier dans lequel se débat Agamemnon. Cette pièce résonne donc évidemment de nos interrogations du moment.

« Comme Agamemnon, nous sommes confrontés à nos limites. »

Dans quelle mesure ?

S.B. : Comme Agamemnon, à qui les dieux demandent de sacrifier ce qu’il a de plus cher, sa propre fille, pour assouvir ses rêves de toute-puissance, nous sommes confrontés à nos limites : faut-il sacrifier la croissance pour sauver la planète ? Notre liberté, et notamment celle de la jeunesse, pour protéger les plus âgés et les plus fragiles ? Ou faut-il sacrifier la valeur de la vie à celle de l’économie ? Que sommes-nous prêts à sacrifier pour continuer ou ne pas continuer comme avant ? Chez Racine, Iphigénie n’est finalement pas sacrifiée. C’est « l’étrangère » de la pièce qui est sacrifiée à sa place. C’est alors que tout repart. Serait-ce qu’il nous faudrait sacrifier aussi nos étrangers ? Fermer les frontières ? Préférer le repli ? Le but est de nous renvoyer à toutes ces questions, évidemment pas de les résoudre. Racine nous propose une fable qui interroge nos propres fantasmes de puissance et notre délire de course au profit. Je me suis dit qu’il y avait de quoi retraverser ce qu’on avait vécu, non pas à ras du sol, comme des journalistes, mais en se laissant porter par la métaphore et la langue de Racine, qui fait surgir une incroyable humanité dans un monde extrêmement brutal. A suivi alors immédiatement la question de comment faire pour la jouer… Un fauteuil sur trois, les masques, la distanciation… Franchement, personne ne rêve de jouer avec des masques, mais pour ce qui est de la distanciation sur scène, Racine s’y prête sans doute mieux que Tchekhov. Et puis les Ateliers Berthier, totalement modulables, nous ont permis d’imaginer un dispositif bi-frontal qui donne au public et aux acteurs l’impression d’être tous dans le même bateau arrêté. Le public regarde les puissants tout en comprenant combien il dépend de leurs décisions.

Pourquoi avoir choisi une double distribution ?

S.B. : Quand tout le monde était à l’arrêt, je voyais mes camarades acteurs désœuvrés, tous les projets, toutes les tournées, annulés ou reportés. J’ai alors pensé que ce nouveau projet devait être collectif et en partage. La double distribution permet de faire travailler plus d’acteurs. J’ai réuni une grande famille d’acteurs très différents. Mélanger et recomposer la troupe de soir en soir offrira à la fois le même spectacle et un spectacle différent. Dans mon travail je pars beaucoup des acteurs. Le personnage se construit à travers la personnalité de l’acteur. C’est pourquoi j’ai toujours beaucoup de mal à les remplacer. Mais j’en ai fait récemment l’expérience à Moscou, en montant Oncle Vania avec deux actrices dans le rôle d’Helena. Au début, ça m’a fait très peur. Peur de leur possible rivalité ; peur de m’attacher à l’une plutôt qu’à l’autre… Mais leur sens du partage et leur solidarité m’ont impressionné. J’ai voulu essayer cela avec les acteurs français.

 

Propos recueillis par Catherine Robert

A propos de l'événement

Iphigénie
du mercredi 23 septembre 2020 au samedi 14 novembre 2020
ATELIERS BERTHIER
8, boulevard Berthier, 75017 Paris

Du mardi au samedi à 20h ; dimanche à 15h. Tél. : 01 44 85 40 40.

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