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Théâtre - Entretien

La Brèche de Naomi Wallace, mise en scène par Tommy Milliot

La Brèche de Naomi Wallace, mise en scène par Tommy Milliot - Critique sortie Théâtre Paris Le Centquatre
© Christophe Raynaud de Lage La Brèche

Le Centquatre / de Naomi Wallace / mise en scène Tommy Milliot

Publié le 13 juillet 2020 - N° 286

Avec La Brèche de Naomi Wallace, Tommy Milliot poursuit l’exploration des écritures contemporaines qu’il mène depuis la naissance de sa compagnie Man Haast en 2014. Tragédie de quatre adolescents, cette pièce déconstruit le rêve américain grâce à une mécanique implacable.

Depuis Lotissement de Frédéric Vossier, prix du jury Impatience en 2016, jusqu’à Massacre de l’auteure catalane Lluisa Cunillé créé au Studio de la Comédie-Française la saison dernière, en passant par Winterreise du Norvégien Fredrik Brattberg, vos choix de mises en scène se portent généralement sur des auteurs méconnus. Comment les découvrez-vous ?

Tommy Milliot : À l’origine de Man Haast, il y a en effet le désir de porter des textes d’auteurs vivants, en prise avec notre monde. Avec Sarah Cillaire, la dramaturge de la compagnie, nous formons tous les deux un micro comité de lecture. Nous lisons de très nombreuses pièces, grâce à diverses structures – la Maison Antoine Vitez, Théâtre Ouvert ou encore le festival Actoral – qui font dans l’ombre un formidable travail de mise en valeur des écritures contemporaines. Nous mettons en commun nos découvertes, et finissons par faire nos choix.

La Brèche semble se démarquer de vos choix habituels. Le texte est de facture plus classique, il est aussi moins abstrait que les autres. Son auteure, l’Américaine Naomi Wallace, est également plus connue que ceux qui ont jusque-là attiré votre attention.

T.M. : Si Naomi Wallace est assez célèbre dans son continent d’origine, elle est peu montée en France, bien qu’inscrite au répertoire de la Comédie-Française en 2009 avec Une puce, épargnez-la. Quant à La Brèche, je suis à ce jour le seul à l’avoir mise en scène. Cette pièce est en effet de facture plus classique que Lotissement, Winterreise ou Massacre. Ce qui m’intéresse chez elle, c’est ce qu’elle raconte : la tragédie de quatre adolescents, parmi lesquels une jeune fille, Jude, qui se sacrifie au nom du Rêve américain. En vain.

Cette tragédie brasse de nombreux sujets. Avez-vous cherché à en mettre certains en valeur plus que d’autres ?

T.M. : Tous les thèmes abordés dans La Brèche – l’instrumentalisation du corps féminin, la violence des laboratoires pharmaceutiques ou encore les rapports homme-femme – nourrissent selon moi une réflexion sur la domination. Mais je ne veux jamais faire passer de message. La mise en scène, pour moi, doit simplement ouvrir à chacun une voie personnelle au texte, à la fiction.

 

« La mise en scène, pour moi, doit simplement ouvrir à chacun une voie personnelle au texte, à la fiction »

 La scénographie tient dans votre travail une place centrale, à l’égal du texte. Comment avez-vous imaginé celle de La Brèche ?

T.M. : Notre exploration des dramaturgies contemporaines, au sein de la compagnie Man Haast, est associée à des textes contemporains, mais elle ne s’y limite pas. La construction de l’espace scénique est pour nous aussi importante que l’approche du texte, du jeu, de la lumière et du son. Avec Jeff Garaud, concepteur et constructeur des décors de la compagnie, c’est en travaillant avec les acteurs et un noyau de collaborateurs fidèles (Sarah Cillaire à la dramaturgie, Sarah Marcotte à la lumière, Adrien Kanter au son, Matthieu Heydon à l’assistanat à la mise en scène) que nous avons imaginé la dalle de béton qui sert de scénographie à La Brèche. Je voulais un espace qui soit concret pour de jeunes acteurs, dont c’était au moment de la création du spectacle la première expérience professionnelle. Elle représente la notion de fondation, ou plus précisément de « basement » en américain.

 

La pièce est construite selon un aller-retour entre deux époques, 1977 et 1991. Comment les avez-vous fait cohabiter au plateau ?

T.M. : Naomi Wallace souhaite voir jouer ses quatre personnages par deux distributions différentes. J’ai suivi ce désir, qui me semble très juste car en 14 ans, les corps et les personnalités changent. D’autant plus lorsqu’une telle période est marquée par une tragédie. Davantage qu’une ressemblance entre les quatre protagonistes des deux époques, j’ai recherché une vraisemblance. Toujours dans le but de permettre au spectateur de tracer son propre chemin dans l’histoire.

Parmi les points communs que l’on peut trouver entre les différents textes que vous avez montés, il y a le trouble et le secret. Comment définiriez-vous ceux de La Brèche ?

T.M. : Le secret, dans La Brèche, est particulier en ce qu’il est dévoilé d’emblée. La pièce n’est est pas moins troublante, au contraire : ce qui perturbe, ce sont les 14 années auxquelles nous n’avons pas accès. La capacité de ces personnages à se détruire sans s’en rendre compte est un mystère épais.

Propos recueillis par Anaïs Heluin

 

A propos de l'événement

La Brèche
du mercredi 7 octobre 2020 au samedi 17 octobre 2020
Le Centquatre
5 rue Curial, 75019 Paris

à 20h30. Tel : 01 53 35 50 00. www.104.fr

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