« Un projet culturel est d’abord un engagement vers les citoyens »
Depuis les années 90, les collectivités [...]
Combinant plusieurs textes, fictions ou témoignages, la pièce de Jacques Kraemer met en perspective avec sobriété, retenue et intelligence le drame de la violence faite aux femmes.
Deux ombres face au public, deux corps qui se crispent, deux voix sans visage : une jeune fille et un jeune garçon – Roxane Kasperski et Simon-Pierre Ramon -, une victime et un bourreau, qui dans une troublante et judicieuse gémellité interrogent l’incompréhensible violence, la souffrance et la nature de leur lien. Car cela aurait pu être autrement. C’est ainsi que commence la pièce de Jacques Kraemer, qui avec une remarquable sobriété, une émotion retenue et une intelligence scénique précise éclaire le réel par la fiction théâtrale, en évitant tout sentimentalisme et tout naturalisme, en permettant au contraire aux mots de résonner de tout leur sens. Ce théâtre militant est une prise de parole sans didactisme, un dévoilement et une mise en perspective du traumatisme que le violeur inflige. La pièce rassemble divers textes : le court et percutant huis clos de Pauline Sales Il aurait suffi que tu sois mon frère, où Aïcha rend visite en prison à son bourreau organisateur des viols collectifs dont elle fut la victime répétée (on apprend au fil d’une réplique que la rencontre se déroule au parloir d’une prison), une interview de Samira Bellil, auteur de Dans l’enfer des tournantes, Le Monologue d’un homme violent écrit par Simon-Pierre Ramon, puis cinq témoignages de femmes victimes anonymes recueillis par Roxane Kasperski.
Terrifiante détresse
Une multiplicité de points de vue pour une situation qui aujourd’hui encore n’échappe ni aux jugements méprisants (le consentement et la stigmatisation des victimes sont un poison récurrent) ni à une prise en charge très insuffisante par les pouvoirs publics. Au début de la pièce, on voit simplement deux êtres unis par une terrifiante détresse, par une implacable incommunicabilité, lorsque la raison et les mots ne peuvent plus ni expliquer ni rassembler, lorsque l’autre ne semble plus être une personne, et que seule la violence surgit entre deux êtres. D’emblée, se posent la question du pourquoi, et en même temps l’impossibilité d’y répondre. En quête de vérité, loin de tout stéréotype, les mots précis et vindicatifs de Pauline Sales sont pensés par le corps meurtri et l’esprit en colère. Et l’interview de Samira Bellil comme les autres paroles révèlent une souffrance physique et psychologique immense qu’on ne peut réduire à un contexte social. Un théâtre engagé et nécessaire, que les deux interprètes investissent avec retenue et intensité.
Agnès Santi
Il aurait suffi… collage de textes, mise en scène Jacques Kraemer, du 8 au 31 juillet au Petit Louvre à 15H45, 23 rue Saint-Agricol. Tél : 04 32 76 02 79.
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