Théâtre sans animaux
Cette recréation de Théâtre sans [...]
Sous la direction du metteur en scène Jean-Yves Ruf, Gilles Cohen et Jacques Tresse donnent corps au face-à-face imaginé par Eugène O’Neill dans Hughie. Un spectacle sans mystère, qui peine à investir les abysses de ce quasi-monologue sur l’isolement existentiel.
C’est l’un des grands dramaturges américains du XXème siècle. Lauréat du Prix Nobel de littérature en 1936, Eugène O’Neill (1888-1953) a obtenu pas moins de quatre fois le Prix Pulitzer de l’œuvre dramatique (pour Au-delà de l’horizon en 1920, pour Anna Christie en 1922, pour Etrange Intermède en 1928 et pour Le Long Voyage vers la nuit, à titre posthume, en 1957). Explorant les déséquilibres et les douleurs inhérents à la condition humaine, celui que l’on situe souvent dans les traces d’un Ibsen ou d’un Strindberg porte, à travers ses œuvres, un regard sans concession sur des êtres en proie au doute, au vide, au désespoir. Des êtres en souffrance qui luttent contre eux-mêmes, contre les adversités du destin. Dans Hughie*, deux de ces êtres se font face, dans le hall d’un petit hôtel déclassé du West Side, à New York. Il est entre trois et quatre heures du matin, nous dit O’Neill, un jour de l’été 1928. Un certain Erié (Gilles Cohen), habitué de l’établissement, rentre et fait la connaissance du veilleur de nuit (Jacques Tresse) qui remplace Hughie, ancien employé récemment décédé.
La partie immergée de l’iceberg
Débute alors un long soliloque au cours duquel Erié raconte des saouleries épiques, des heures de jeu qui ont fait sa fortune, toutes sortes de fanfaronnades, des conquêtes féminines à foison… Il revient également sur la relation étrange qui le liait à son vieux copain réceptionniste, avec qui il a passé des nuits et des nuits à réinventer sa vie avant d’aller se coucher. Car on devine très vite que la réalité est bien loin du monde haut en couleur qu’il convoque. Derrière les airs de bravade, derrière les phrases qui n’en finissent pas de remplir l’espace de cette non-relation, derrière les silences et les rares interventions du veilleur de nuit, se déploient des perspectives humaines abyssales. Des tourments et des inquiétudes indicibles. Des maux inexprimables. C’est tout cela que la représentation créée par Jean-Yves Ruf ne parvient pas faire surgir. S’en tenant à la partie immergée de cet iceberg théâtral, le metteur en scène et ses deux interprètes passent à côté de l’essentiel. Ils créent un moment de théâtre sans creux, sans intériorité et sans arrière-plan.
Manuel Piolat Soleymat
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