La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

SHALL WE DANCE?

Résoudre le déséquilibre entre création et diffusion ?

Résoudre le déséquilibre entre création et diffusion ? - Critique sortie Danse

Entretien Patrick Germain-Thomas

Publié le 27 février 2016

Chercheur, enseignant et amateur de danse, Patrick Germain-Thomas analyse le déséquilibre structurel entre création et diffusion, et propose des pistes de réflexion et d’action pour promouvoir la reconnaissance de la danse.

La création chorégraphique a connu un formidable essor dans les années 80. Qu’en est-il des circuits de diffusion ?

Patrick Germain-Thomas : En quarante ans, la politique publique a permis à la création chorégraphique contemporaine de proposer en France une offre d’une diversité sans doute inégalée dans le monde, renforcée par l’accueil d’artistes internationaux. Pina Bausch et Merce Cunningham eux-mêmes ont souligné l’importance des institutions françaises dans leurs parcours. Le projet politique initié dans les années 1970 par Michel Guy, secrétaire d’État à la Culture qui voulait redonner à la France un rayonnement international, a porté ses fruits, et cette réalisation dément les discours défaitistes sur la démocratisation de la culture. Cependant, il existe de véritables problèmes de diffusion de la danse contemporaine. Comment expliquer qu’après des décennies de politique volontariste, construite avec les lieux dans le cadre de la décentralisation, ces problèmes persistent ? On entend parler de crise de la diffusion, mais il s’agit plutôt de difficultés structurelles car les mécanismes de la politique du spectacle vivant favorisent la création d’une offre de spectacles dépassant les débouchés offerts par les réseaux de diffusion. La présence de la danse contemporaine au sein du corps social est encore limitée. Par exemple, parmi mes étudiants inscrits par choix à des cours sur la culture, très peu sont capables de citer le nom d’un chorégraphe contemporain. La vraie question, c’est celle du développement du public, celle de l’ancrage de la danse au sein du grand public.

« La vraie question, c’est celle du développement du public. »

Certains estiment que les créations sont trop nombreuses. Qu’en pensez-vous ?

P. G.-T. : La politique culturelle française n’est pas une politique de la demande mais une politique de soutien de l’offre. Il existe environ 500 compagnies de danse professionnelles en France, dont 250 soutenues par l’Etat, et elles créent en moyenne un spectacle par an. L’offre internationale représente une part considérable de la programmation des lieux les plus prestigieux, et demeure significative dans les scènes nationales. Si on comptabilise les lieux programmant de la danse de façon régulière et importante, on en recense environ 150 pour 500 compagnies (quelques structures phares, les scènes nationales, les scènes conventionnées pour la danse). Le marché subventionné du spectacle vivant se caractérise donc par un déséquilibre structurel qui entraîne une baisse des prix de cession des représentations. Dans les transactions avec les structures de diffusion, la plupart des compagnies peinent à réaliser des marges sur la vente des spectacles. D’où l’importance des subventions et de la coproduction, mécanisme fondamental pour pérenniser l’activité des compagnies. Cette nécessité de trouver des coproductions auprès des lieux provoque un emballement du système : les compagnies sont toujours tournées vers la création d’après. Les artistes comme les diffuseurs soulignent que de nombreux spectacles de qualité sont abandonnés sans avoir été vus par le public. Ce n’est pas l’offre qui est trop importante, mais la demande qui doit et peut augmenter ! En danse contemporaine, le nombre de représentations par programme (environ 1,5 en moyenne) est très limité, alors que si on passait à 2 ou 3, tout changerait. Les programmateurs ne sont pas en cause, ils réalisent leur programmation en tenant compte d’un potentiel de fréquentation, et sont soumis à un certain nombre de contraintes dont l’examen des chiffres par les tutelles.

Que faire ?

P. G.-T. : Il faut promouvoir la culture chorégraphique, poursuivre le travail d’action culturelle, notamment dans sa branche éducative à l’école, travailler sur la médiatisation de la danse. La danse n’est pas un art élitiste. L’éducation artistique reste la voie royale de la familiarisation du grand public ; toutes disciplines confondues, les projets d’éducation artistique à l’école fondés sur l’intervention d’artistes dans les classes concernent environ 10% des élèves. La danse à l’école est une question fondamentale. Présente dans les programmes d’Education Physique et Sportive à travers un possible “cycle danse“, elle demeure trop peu enseignée. Avec les Éditions de l’Attribut, nous créons une collection de livres intitulée “Culture Danse“, afin de proposer au grand public des ouvrages accessibles et exigeants sur la danse. Il faut faire preuve de persévérance, continuer à être utopique dans ce domaine mais sans se bercer d’illusions.

 

Propos recueillis par Agnès Santi

 

A lire

 

La Danse contemporaine, une révolution réussie ? Ed de l’attribut, 2012.

« Le Public de la danse contemporaine, instituer la parole des corps », Quaderni, n° 83, hiver 2013-2014.

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