La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Etat des lieux de la danse en France

Raison et sensation

Raison et sensation - Critique sortie
Crédit photo : PUF

Publié le 30 novembre 2011

Chercheuse et maître de conférences en esthétique et philosophie de l’art à l’Université Paris I, Panthéon-Sorbonne, Barbara Formis découd les lisières entre l’art et la vie pour questionner les gestes du quotidien comme expérience esthétique et la présence de l’ordinaire dans l’œuvre d’art.

Que signifie Penser en corps, titre d’un recueil que vous avez coordonné ?
Barbara Formis :
Cela signifie penser de nouveau, « encore » et à travers le corps, défendre une pensée incarnée. Dans notre société, la pensée est souvent envisagée comme séparée de l’expérience corporelle. Les plaisirs sensibles brouilleraient le jugement et entraveraient la réflexion intellectuelle. Cette conception dualiste, ancrée dans la culture judéo-chrétienne, n’est pas sans conséquence politique puisqu’elle justifie la division des fonctions et la hiérarchie sociale. Dans la Grèce ancienne, le raisonnement n’était considéré comme possible que si l’esprit était libéré des tâches matérielles. L’activité de penser revenait donc aux citoyens libres et excluait les esclaves, les femmes et les enfants. De fait, la majorité des humains n’avait pas accès à cette dimension spirituelle de la vie. L’approche héritée du pragmatisme considère le corps comme moyen de conscience de soi mais aussi de création de soi, et réévalue l’importance des tâches matérielles habituellement exclues du domaine du savoir. Pour le pragmatisme et l’empirisme, raison et sensation sont étroitement mêlées, l’idée naît dans l’expérience mais ne s’y réduit pas. La démarche empiriste dépasse le dilemme philosophique entre « être » et « avoir » un corps, subjectivité et objectivité n’étant pas exclusives dans la réalité.

« Le corps est toujours impliqué dans l’expérience esthétique. »

Quelle est la place du corps dans l’expérience esthétique ?
B. F. :
Elle est centrale. Le corps est toujours impliqué dans l’expérience esthétique, même dans la contemplation visuelle : les yeux sont des organes du corps. Il y a une singularité irréductible de la perception car toujours relative au point de vue et à notre ancrage corporel. L’expérience esthétique ne se circonscrit pas aux œuvres d’art. Elle s’éprouve tout autant dans le quotidien. Le regard porté sur un tableau ou sur une rue est le même, mais l’intensité et l’intention changent. L’art ne s’oppose pas à la vie. Il n’y a pas dualité mais pluralité, complémentarité. Ma réflexion consiste justement à remettre en question cette dichotomie.

Comment le geste fait-il œuvre dans la danse ?
B. F. :
La danse explore le potentiel inhabituel du corps. Le ballet classique va presque à l’encontre des postures naturelles et soumet les corps à sa discipline. En revanche, la danse contemporaine puise volontiers dans la gestuelle quotidienne, et  laisse place à des physionomies différentes, plus représentatives de la diversité physique de la société. Merce Cunningham, Yvonne Rainer, Anna Halprin, Pina Bausch ou Anne Teresa de Keersmaeker, entre autres, partent de gestes simples qu’ils travaillent comme éléments chorégraphiques, comme protocoles d’action ou règles de conduite. Dans les happenings aussi, le geste est sa propre finalité et non un moyen, il fait œuvre par l’expérience qu’il propose. Il ne s’agit pas de glorifier le banal ni de confondre l’art et la vie. L’art est une exploration, une manière de voir ce que potentiellement la vie pourrait être.

Entretien réalisé par Gwénola David

A lire : Gestes à l’œuvre, sous la direction de Barbara Formis, De l’Incidence, 2008 ; Penser en corps, sous la direction de Barbara Formis, L’Harmathan, 2009 ; Esthétique de la vie ordinaire, de Barbara Formis, PUF, 2010.

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