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"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Etat des lieux de la danse en France

Danse et Philosophie : duel ou duo ?

Danse et Philosophie : duel ou duo ? - Critique sortie
© D. R.

Publié le 30 novembre 2011

Frédéric Pouillaude est Maître de Conférences en Philosophie de l’art à l’Université Paris-Sorbonne et ancien danseur formé chez Mathilde Monnier. Il est l’auteur du Désœuvrement chorégraphique. Etude sur la notion d’œuvre en danse paru en 2009 aux Editions Vrin.

Qu’est-ce qui a orienté votre réflexion philosophique vers le domaine de la danse?
F. P. :
En premier lieu, une conviction quant à la philosophie elle-même. Il me semble que la philosophie n’est aujourd’hui possible qu’en relation à des objets et des pratiques déterminés, autrement dit, qu’il ne peut y avoir que des « philosophies de ceci » ou « de cela », et pas de « philosophie générale ». Ce type de rapport à l’objet exige, de la part de celui qui s’y engage, une réelle compétence et expertise. Mon passé m’avait rendu compétent sur un domaine : la danse. Par ailleurs, il s’agissait bien sûr également de combler l’absence de discours philosophique, véritablement informé et pertinent, sur la danse. Les rares philosophes à s’être intéressés à la danse (Nietzsche, Valéry, Erwin Straus, ou aujourd’hui Alain Badiou) l’ont fait depuis un point de vue externe et assez fantasmatique. La danse comme « art originaire » ou comme expérience extatique, tel est leur objet, lequel n’a en définitive que peu de rapport avec les pratiques chorégraphiques réelles.

Est-ce à dire que la danse ne peut pas faire l’objet d’une réflexion philosophique?
F. P. :
J’espère avoir prouvé le contraire. Et, de façon générale, je ne crois pas qu’il existe des objets par essence rétifs à l’investigation philosophique, pas plus d’ailleurs que des objets spécialement destinés à ladite investigation. Il y a simplement des pratiques humaines, qui ont chacune leur forme de rationalité et leurs problèmes spécifiques, et peuvent au même titre faire l’objet d’une réflexion philosophique.

 « Il s’agissait de combler l’absence de discours philosophique, véritablement informé et pertinent, sur la danse. »

Que serait une « philosophie de la danse » au XXIème siècle ? Quel est son lieu : recherche en philosophie, ou recherche en danse ?
F.P. :
Je ne suis pas sûr qu’il faille parler d’« une » « philosophie de la danse » au singulier, comme champ théorique homogène et bien unifié. Disons plutôt qu’une multiplicité de problèmes s’offre à nous et que chacun d’eux peut constituer un chantier philosophique : les problèmes liés à la notion d’œuvre chorégraphique (que j’ai abordés dans mon livre), les problèmes liés aux sensations kinesthésiques et à leur partage dans l’empathie, les problèmes liés au statut de la signification gestuelle, etc. Cette liste est bien sûr non exhaustive, et chacun de ces problèmes peut à son tour faire l’objet d’un traitement philosophique différent (phénoménologique, analytique, cognitif, etc.). Pour ce qui est du second aspect de votre question, il faut sans l’ombre d’un doute répondre : les deux. J’ai moi-même enseigné pendant deux ans au Département Danse de l’Université Paris-8, et j’enseigne désormais dans le Département de philosophie de l’Université Paris-Sorbonne. Ce type de va-et-vient entre les disciplines doit demeurer possible et même être encouragé.

En quoi la recherche philosophique en danse enrichit-elle les autres approches théoriques de l’art chorégraphique?
F. P. :
S’il y a une fonction et une utilité propres à la philosophie en ce domaine, elles résident avant tout dans la clarification et la distinction conceptuelles. C’est ce que j’ai essayé de faire au sujet de la notion d’œuvre, en abordant notamment les problématiques liées à la notation chorégraphique. Mais ce travail de clarification ne peut se suffire à lui seul, il doit être au service d’un propos, d’une thèse, qui dès lors s’offre également à la réfutation, y compris par d’autres types d’approches théoriques.

Et l’influence de la philosophie de la danse sur la pratique?
F. P. :
Elle est par principe imprévisible, et je ne crois pas qu’il faille la rechercher pour elle-même. En revanche, l’influence inverse – celle des pratiques sur la philosophie – est une condition sine qua non du discours. A ce titre, je dois confesser un certain nombre de dettes, considérables. Rien de ce que j’ai écrit n’aurait été possible sans la rencontre de certains acteurs du champ chorégraphique (les Carnets Bagouet et le Quatuor Knust, notamment) et sans l’expérience accumulée lorsque j’étais stagiaire à Ex.e.r.ce, la formation chorégraphique créée par Mathilde Monnier à Montpellier. J’enseignerai d’ailleurs cette année à Ex.e.r.ce, ce qui est peut-être un signe d’influence en retour.

Propos recueillis par Christine Leroy

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