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Les formations artistiques

Préserver la solitude vitale de l’écrivain, mais briser son isolement

Préserver la solitude vitale de l’écrivain, mais briser son isolement - Critique sortie
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Publié le 10 octobre 2009

Le département d’écriture dramatique de l’ENSATT à Lyon, dirigé par Enzo Cormann, n’accueille pas des jeunes gens qui souhaitent écrire, mais de jeunes écrivains. Des écrivains qui sont amenés, à travers ce cursus de 3 ans, à déployer leur autonomie de point de vue et leur radicalité.

Comment est née l’idée du cours d’écriture dramatique que vous dirigez à l’ENSATT ?
Enzo Cormann :
Quand j’enseignais à l’école du Théâtre National de Strasbourg, dans les années 1990, j’avais émis l’idée d’accueillir de très jeunes écrivains au sein de cet aréopage de jeunes artistes. La proposition est restée lettre morte, en partie du fait de difficultés budgétaires, et en partie, je crois, pour des raisons liées à l’incompréhension de la place du dramaturge au sein du collectif artistique théâtral. "L’auteur", comme on dit (je déteste ce terme…), c’est le fantôme du théâtre : le gars qui écrit dans sa mansarde, qui poste son texte et qui attend qu’on veuille bien lui faire signe. En France, il existe encore peu d’agencements collectifs dans lesquels les écrivains dramatiques trouvent à exercer concrètement leur art au même titre que les acteurs ou les metteurs en scène. En 2000, l’ENSATT m’a proposé de concevoir un département d’écriture. Au cours des deux années suivantes, j’ai rencontré de très nombreux responsables et étudiants de départements similaires, au sein d’écoles supérieures de théâtre du monde entier. Ce tour d’horizon m’a conforté dans l’idée de rompre radicalement avec le modèle anglo-saxon de la "classe d’écriture créative", comme du "cours de composition dramatique". Le département d’écriture dramatique de l’ENSATT a de ce fait été conçu comme un "collectif d’accompagnement critique des écrits en cours".

« Les voix nouvelles font la vitalité du théâtre, et éclairent ce qui continue de résonner à travers les voix anciennes. »

Quels sont  les enjeux de ce collectif ?
E. C. :
Ce collectif est composé d’artistes expérimentés, associés au département et de très jeunes écrivains, qui ont le statut d’étudiants. Les premiers viennent confronter leur pensée, leur regard critique, leurs choix esthétiques aux ouvrages en devenir des seconds. C’est, simultanément, une manière d’accueil et de signal de bienvenue. Les voix nouvelles font la vitalité du théâtre, et éclairent ce qui continue de résonner à travers les voix anciennes. Ce collectif d’accompagnement critique se réunit chaque semaine (quatre écrivains associés et six jeunes dramaturges). Nous l’appelons le studio. Chaque texte fait l’objet de plusieurs heures de discussion. Ce travail de rétrospection et de prospective critique fonde tous les autres ateliers. Cela représente deux jours et demi de travail collectif par semaine, qui viennent s’ajouter au temps consacré à l’écriture solitaire. L’idée est de préserver la solitude vitale de l’écrivain, mais de briser son isolement. Les jeunes écrivains que nous accueillons ne viennent pas nous voir pour apprendre à quoi ressemble une tragédie grecque ou une comédie de Feydeau, encore moins pour apprendre à écrire des pièces "bien faites". La finalité du département est de leur permettre de déployer leur autonomie de point de vue et de renforcer leur radicalité. Et de le faire dans la pleine conscience du théâtre comme art collectif — passion du poème et goût de la troupe.

Quelle figure pensez-vous incarner pour ces jeunes écrivains : un maître, un guide, un accompagnateur… ?
E. C. :
Je m’efforce de ne pas (trop) rentrer dans la catégorie des "abrutisseurs", si parfaitement épinglée et décrite par Jacques Rancière. Poser l’égalité des intelligences est le préalable de tout acte d’enseignement. J’ai 57 ans, j’ai publié mon premier livre aux Éditions de Minuit en 1982, j’écris pour le théâtre, pour la scène jazzistique, je compose des romans… J’espère que les jeunes écrivains de passage à l’ENSATT me considèrent comme un écrivain digne d’être lu et fréquenté. Et que cette considération (au sens premier du terme) les incite à entendre, par exemple, mes remarques sur les dangers du solipsisme, du formalisme et du nihilisme.

Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat

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